ue l'etre vivant n'est qu'une
collection, une tribu, une cite d'etres vivants. Voyez cet arbre, avait
dit Bonnet. C'est une foret. "Il est compose d'autant d'arbres et
d'arbrisseaux qu'il a de branches et de ramilles..." Voyez cet essaim
d'abeilles, dit Diderot, cette grappe d'abeilles suspendue a cette
branche. Un corps d'animal, notre corps, est cette grappe. Il est
compose d'une multitude de petits animaux accroches les uns aux autres
et vivant pour un temps ensemble. Un animal est on tourbillon d'animaux
entraines pour un temps dans une existence commune qui se separeront
plus tard, se disperseront, iront s'agreger l'un a un autre tourbillon,
l'autre a un autre encore. Les cellules vivantes passent ainsi
indefiniment d'une cite que nous appelons animal ou plante en une autre
cite que nous appelons plante ou animal; et cette circulation eternelle,
c'est l'univers.
Enfin, dans le _Reve de d'Alembert_ encore, il donnait, avant le
transformisme constitue, la formule definitive du transformisme:
"_Les organes produisent les besoins, et, reciproquement, les besoins
produisent les organes._" Ceci, quarante ans avant Lamarck, et soixante
ans avant Charles Darwin, est presque aussi etourdissant que le mot
de Pascal sur l'heredite[73]. Il arrive souvent que les hommes
d'imagination devancent ainsi les sciences qui naissent, ou meme encore
a naitre. Leur synthese rapide passe par-dessus les observations qui
commencent et les preuves encore a venir, et leur genie d'expression
trouve le mot auquel la lente accumulation des notions de detail
ramenera.
[Note 73: "L'habitude est une seconde nature; et aussi, la nature
est premiere habitude."]
Chez Diderot c'etait la plus qu'une imagination d'un moment. La matiere
vivante, eternelle et eternellement douee de force, et, sans plan
preconcu, sans but, sans "cause finale", sans intelligence ordonnatrice,
evoluant indefiniment, souleve d'une sorte de perpetuel bouillonnement,
creant des etres, puis d'autres etres, des especes, puis d'autres
especes; versant l'element nutritif dans l'animal, et en faisant de la
sensation et des passions; dans l'homme, et en faisant de la sensation,
de la passion et de la pensee; rejetant l'animal et l'homme dans
l'eternel creuset, et, de ces fibres qui penserent, faisant des
vegetaux, qui deviendront plus tard, sous forme d'animal ou d'homme, des
choses sentantes et pensantes a leur tour: c'est le systeme qui seduit
son esprit et la vision ou son i
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