magination se complait.--Il est
materialiste comme un Lucrece, en poete, et autant par exaltation
que par raisonnement. La "nature" l'enivre et le transporte hors de
lui-meme. Il en recoit "l'enthousiasme" comme d'autres croient le
recevoir du ciel. Relisez cette page si curieuse, belle du reste, qui
est egaree, comme presque toutes les belles pages de Diderot, dans un
endroit ou elle n'a que faire[74]:
[Note 74: Debut du _Second entretien sur le fils naturel_.]
Il m'entendit et me repondit d'une voix alteree:
"Il est vrai. C'est ici qu'on voit la nature. Voici le sejour sacre de
l'enthousiasme. Un homme a-t-il recu du genie? Il quitte la ville et ses
habitants. Il aime, selon l'attrait de son coeur, a meler ses pleurs au
cristal d'une fontaine; a porter des fleurs sur un tombeau; a fouler
d'un pied leger l'herbe tendre de la prairie; a traverser a pas lents
des campagnes fertiles; a contempler les travaux des hommes, a fuir au
fond des forets. Il aime leur horreur sacree... Qui est-ce qui s'ecoute
dans le silence de la solitude? C'est lui... C'est la qu'il est saisi de
cet esprit, tantot tranquille et tantot violent, qui souleve son ame et
qui l'apaise a son gre.
"Oh! nature! tout ce qui est bien est renferme dans ton sein. Tu es la
source feconde de toutes les verites!... L'enthousiasme nait d'un objet
de la nature. Si l'esprit l'a vu sous des aspects frappants et divers,
il en est occupe, agite, tourmente. L'imagination s'echauffe, la passion
s'emeut... l'enthousiasme s'annonce au poete par un fremissement qui
part de sa poitrine et qui passe d'une maniere delicieuse et rapide
jusqu'aux extremites de son corps. Bientot c'est une chaleur forte et
permanente qui l'embrase, qui le fait haleter, qui le consume, qui le
tue, mais qui donne l'ame, la vie a tout ce qu'il touche. Si cette
chaleur s'accroissait encore, les spectres se multiplieraient devant
lui. Sa passion s'eleverait presque au degre de la fureur."
Voila l'extase, voila le grain de folie, voila le mysticisme, car
l'homme est toujours mystique par quelque endroit, de Diderot.
L'adoration de la nature a ete son genre de piete. Il trouve la nature
auguste, douce, bonne, et bonne conseillere. "Tout est bon dans la
nature." Ce n'est pas elle qui pervertit l'homme; c'est l'homme qui se
pervertit malgre elle; "ce sont les miserables conventions et non la
nature qu'il faut accuser[75]. Ecoutez-la: elle ne vous donnera que de
bonnes et salutaires instruction
|