cela; mais qu'il est bien
plus ce que la pression longue et continue de l'habitude, des fonctions
exercees, des prejuges de classe recus et conserves, a fait de lui. Pere
depuis trente ans, un homme n'est plus qu'un pere; magistrat depuis dix
ans, un homme n'est plus que magistrat; et ainsi de suite. En d'autres
termes, le caractere acquis remplace le caractere inne.--J'ai la
pretention, dont je m'excuse, d'exposer la theorie de Diderot beaucoup
plus clairement qu'il n'a fait; mais je ne crois pas le trahir.
Elle ne manque pas de justesse; surtout elle ouvre a la "comedie de
caracteres" un chemin nouveau que ce sera a elle d'eprouver. Mais
Diderot a peut-etre tort de croire qu'il faille _substituer_ purement
et simplement les conditions aux caracteres, comme si les conditions
etaient tout, et les caracteres si peu que rien. Notez d'abord que les
conditions sont: ou des effets du caractere,--ou des forces en lutte
contre le caractere,--et autant que dans les deux cas il faut
s'inquieter du caractere autant que de la condition. Je suis epoux et
pere parce que j'etais _ne_ homme de famille, et dans ce cas, quand vous
croyez et pretendez etudier ma condition, c'est mon caractere que
vous etudiez, et la "substitution" est nulle, et il n'y a aucun
renouvellement de l'art.--Ou bien je suis epoux et pere, par suite de
circonstances, et _quoique_ je ne fusse pas ne pour cela; et alors
le drame sera tres probablement la lutte entre mon caractere et ma
condition, entre mon caractere inne et mon caractere acquis, dont
les forces commencent a se montrer; auquel cas il faut bien que vous
connaissiez mon caractere autant que ma condition; et la pire erreur
serait de ne vouloir connaitre et peindre que cette derniere, puisque
par cette omission ou negligence, c'est le drame meme qui disparaitrait.
De plus, a considerer les conditions comme de veritables caracteres,
tant on suppose qu'elles ont petri, modele et sculpte l'homme qu'elles
ont saisi, encore est-il que les conditions sont des caracteres
d'emprunt qui n'ont pas la profondeur et la plenitude de caracteres
innes. Elles sont les attitudes et les gestes appris de la personne
humaine plutot que des ressorts intimes et permanents. Ce sont des
modifications de caractere, et non des caracteres.--Des lors, autant
elles sont interessantes, montrees avec le caractere qu'elles ont
modifie, autant elles sont comme vides et comme sans support, presentees
sans ce caractere et abstraites
|