sonnes, amorce cinq ou six intrigues diverses. Elles lui
reviennent et lui retombent sur les bras tour a tour: "Ah! voici
l'histoire de Paul! Eh bien, elle est en bon train. Ceci, cela, pour la
pousser ou il faut.... Qu'est-ce? l'affaire Jacques. Elle va mal. Ceci,
cela, pour la redresser.... Qu'est-ce encore? Et pourquoi diable me
mele-je de tout cela? Pour des gens qui ne me sont de rien, et qui
jugeront, en fin de compte, que j'ai agi en vrai fripon! Tout coup
vaille! Et a l'affaire Bertrand!..."--Autant de dexterite qu'il y a, du
reste, de mouvement, de verve et d'entrain, la main de Beaumarchais,
discretement, en tel et tel endroit, et _Est-il bon? Est-il mechant?_
serait une chose tres distinguee. Tel qu'il est, c'est une chose tres
originale.
IV
DIDEROT CRITIQUE D'ART.
Le chef-d'oeuvre de Diderot c'etait tres probablement sa conversation,
et voila pourquoi les chefs-d'oeuvre qui restent de lui sont, avec le
_Neveu de Rameau_, les _Salons_ et la _Correspondance familiere_.
Il n'avait pas la vraie imagination litteraire; mais il avait cette
demi-imagination, je l'ai dit, qui consiste a etre transporte de ce
qu'on voit, a decrire avec ravissement ce qu'on a vu et a y ajouter
quelque chose. Diderot est incapable de creer, mais il est tres capable
de refaire. L'oeuvre d'art ou la chose vue, apres avoir saisi ses yeux,
saisit son esprit et le met en un mouvement extraordinaire. Sans l'une
ou l'autre il n'inventerait rien, ou fort peu de chose; ebranle par un
spectacle, il s'anime, raconte, decrit, deplace et replace, imagine
des details, reconstitue. Il a cette demi-imagination, secondaire,
inferieure, mais precieuse encore, et que tant s'en faut que tout
le monde ait, qui retient, acheve, et recompose. Les _Lettres a
mademoiselle Volland_ sont pleines et fourmillantes d'anecdotes vivement
contees, de scenes joliment decrites, de croquis, de silhouettes et
d'eaux-fortes. Et ces petits tableaux ont ce qu'on ne connaissait guere
au XVIIe siecle, la couleur. Non seulement on les voit; mais on les voit
dans une sorte de lumiere chaude et dans une atmosphere qui vibre et
parait vivante. Il n'y a pas de vide, d'espace mort entre les figures;
le tableau entier baigne dans l'air reel et fremissant; la sensation
de plenitude est parfaite. Comparez rapidement avec une anecdote de
Crebillon fils ou de Voltaire: vous sentirez ce que je veux dire mieux
que je ne pourrais l'exprimer.
Avec cet oeil, cette memoire rechauf
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