eme aussi, il me semble; et il la sait bien. On peut le considerer
comme l'initiateur de cette science chez les Francais, qui avant lui,
j'excepte Bayle, ne s'en doutaient pas. Ses articles de l'Encyclopedie
sur _Aristote, Platon, Pythagore, Leibniz, Spinoza_, le _Manicheisme_,
sont tout a fait remarquables, et a lire encore de pres. Il est tout
plein de Bayle, cette bible du XVIIIe siecle, et connait les sources de
Bayle. Cela est beaucoup; ce n'est rien pour lui. Il sait la physique,
la chimie de son temps, la physiologie, l'anatomie, l'histoire
naturelle, tres bien. Il a compris que les idees generales des hommes se
font avec tout ce qu'ils savent, et qu'une philosophie est une synthese
de tout le savoir humain. En cette affaire, comme en presque toutes,
Voltaire suit la meme voie, mais est en retard. Il en est aux
mathematiques, presque exclusivement, ne s'inquiete pas assez,
encore qu'il s'inquiete de tout, des sciences d'observation, et nie,
legerement, les apercus nouveaux, trop inattendus, ou elles commencent
a mener. Diderot est au courant de toutes choses. Il n'y a oreille plus
ouverte, ni oeil plus curieux. Dans tous les sens il pousse avec ardeur
des reconnaissances hardies et impetueuses.
Ses premiers ouvrages, _Essai sur le merite et la vertu, Pensees
philosophiques_, sont d'un ecolier qui a, de temps en temps seulement,
d'heureuses trouvailles. Mais deja la _Lettre sur les aveugles_ et la
_Lettre sur les sourds-muets_ contiennent une philosophie, qui sera
celle ou Diderot se tiendra plus ou moins toute sa vie. _L'essai sur
le merite et la vertu_ etait religieux et "deiste"; les _Pensees
philosophiques_ etaient irreligieuses et "theistes", et peuvent etre
considerees comme une esquisse de "morale independante"; les _Lettres_
sur les aveugles et sur les muets sont un programme de philosophie
atheistique et materialiste. Pour la premiere fois Diderot y hasarde
a nouveau, avec beaucoup de verve et meme d'ampleur, cette ancienne
hypothese que la matiere, douee d'une force eternelle, a pu se
debrouiller d'elle-meme, en une serie de tentatives et d'essais
successifs, les etres informes perissant, quelques autres, parce qu'ils
se trouvaient bien organises, devenant plus feconds, les "especes"
s'etablissant ainsi, devenant durables, et le monde tel qu'il est se
faisant peu a peu a travers les ages. Epicure, Lucrece, Gassendi et
toute la petite ecole materialiste du XVIIe siecle, obscure et timide en
son temps, re
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