ans une maison
humide: "Ah! Rousseau! une femme de quatre-vingts ans!" Il ne faut pas
que Rousseau prive les mendiants de Paris des vingt sous par jour qu'il
leur donnait. Il faut que Rousseau accompagne Mme d'Epinay a Geneve,
sinon il est un ingrat, et peut-etre pis. Qu'il l'accompagne a pied s'il
ne peut supporter la chaise! Il faut que Falconnet soit de l'avis de
Diderot sur Pline, l'Ancien, sur Polignotte et sur M. de la Riviere;
sinon les grands mots arrivent, les gros mots aussi. Il a l'amitie bien
encombrante et bien contraignante. C'est celle de nos hommes du peuple.
Leurs bons sentiments manquent de delicatesse. Indelicat, Diderot l'est
a souhait. Le tact lui fait absolument defaut. Certaine espieglerie
de jeunesse avec un moine a qui il extorque de l'argent sous promesse
d'entrer dans son ordre pourrait etre qualifiee severement. Il se
plait a la campagne, en ce Grand-Val qu'il aime tant, a des farces et
droleries de charretiers ivres; c'est dans cette mauvaise societe qu'il
s'epanouit de tout son coeur; il lache devant des enfants des enormites
de propos "qui font pietiner la mere de famille", et il les repete dans
sa correspondance; il donne a sa fille des lecons de morale, a bonne
fin, mais d'une crudite extraordinaire, et, un peu inquiet, demande
ensuite a tous ses amis s'il n'a pas ete un peu loin.
Avec cela, excellent homme, serviable, charitable, genereux, probe et
large en affaires, homme de famille malgre ses maitresses, aimant son
pere, sa mere, sa soeur, sa fille, sa femme meme, je ne puis pas dire
de tout son coeur, mais d'une forte et chaude affection, parlant, en
particulier, de son pere, en des termes qui font qu'on adore, un bon
moment, son pere et lui.--Moralite faible, delicatesse nulle, penchants
grossiers, vulgarite, bon premier mouvement du coeur, bons instincts,
plutot que vraies qualites domestiques, acharnement dans le travail,
honnetete, rectitude et sincerite, mais lourdeur de main dans les
relations sociales, voila bien notre petit bourgeois francais, quand, du
reste, il est d'un temperament robuste et energique; le voila avec ses
qualites et ses defauts; et voila Denis Diderot.
Nos indulgences pour lui viennent de la. Il est un de nous, tres
nettement. Nous le reconnaissons. Nous avons tous un cousin qui lui
ressemble. Nous ne songeons guere a le respecter; mais cela nous aide a
l'aimer, a le gouter familierement. Il nous semble toujours que, comme
il faisait a Catherine II, il n
|