es qui ne l'aiment
pas, il en est bien peu qui ne fissent le pacte de donner les qualites,
meme superieures, de leur caractere, pour les qualites meme secondaires,
de son esprit.
DIDEROT
I
L'HOMME
Il arrive quelquefois que la litterature est l'expression de la societe.
Celle de Diderot est l'expression qui me semble la plus exacte de
la petite societe du XVIIIe siecle. Ce qu'on a dit de cette "tete
allemande" de Diderot m'etonne fort. Que Rousseau l'est bien davantage!
Diderot est eminemment Francais, et Francais du centre, Francais de
Champagne ou de Bourgogne, Francais de la Seine ou de la Marne. Et
il est Francais de classe moyenne, excellemment. Montesquieu est le
parlementaire, Rousseau le plebeien, Voltaire le grand bourgeois, riche,
somptueux et orgueilleux. Diderot est le petit bourgeois, le fils
d'artisan aise, qui a fait ses etudes en province, qui s'est marie
pauvrement, se pousse dans le monde par le travail, vit toute sa vie
a un cinquieme etage, toujours demi-ouvrier demi-monsieur, entre une
grande dame, imperatrice parfois, qui le rend fou de joie en le traitant
bien, et sa femme, petite ouvriere, qui l'ennuie, et qu'il soigne tres,
affectueusement, cependant, quand elle est malade. Et il a tous les
caracteres communs de cette classe intermediaire. Il est vigoureux,
sanguin et un peu vulgaire. Il mange et boit largement, "se creve
de mangeaille", comme lui dit une contemporaine, vide goulument des
bouteilles de champagne, a des indigestions terribles, et, trait a
noter, raconte ces choses avec complaisance.
Et il est laborieux comme un paysan, fournit sans interruption pendant
trente ans un travail a rendre idiot, a comme une fureur de labeur, ne
trouve jamais que sa tache soit assez lourde, ecrit pour lui, pour ses
amis, pour ses adversaires, pour les indifferents, pour n'importe qui,
bucheron fier de sa force qui, l'arbre pliant, donne par jactance trois
coups de cognee de trop. Et il a une vulgarite ineffacable, qu'il
ne songe jamais meme a dissimuler. Il est bavard jusqu'a l'extreme
ridicule, indiscret jusqu'a la manie, parlant de lui sans cesse, se
mettant en avant, se faisant centre constamment, intervenant dans les
affaires des autres, arrangeant et examinant les querelles avec candeur,
conseiller implacable et meme sottement imperieux. Il ne faut pas que
Rousseau vive a la campagne: "Il n'y a que le mechant qui vive seul".
Il ne faut pas que Rousseau fasse vivre sa belle-mere d
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