e croit poete, qui est
conservateur de toute son ame, et qui en litterature et en art, est
etroitement attache a la tradition, pourvu qu'il ait le plaisir d'etre
irrespectueux, c'est un Francais.--Voltaire est leger, decisif et
batailleur: c'est un Francais. Il est sincere, d'esprit du moins,
et parmi tous ses defauts n'a ni celui de la pedanterie ni celui du
charlatanisme: c'est un Francais. Il est a peu pres incapable de
metaphysique et de poesie: c'est un Francais. Il est gracieux et
charmant en vers et en prose, et eloquent quelquefois: c'est un
Francais. Il est radicalement incapable de comprendre l'idee de liberte,
et ne sait qu'etre opprime avec malice, ou oppresseur avec delices:
c'est un Francais. Il est despotiste dans l'ame et attend tout progres
de l'Etat, d'un sauveur intelligent: c'est un Francais. Il n'est pas
tres brave; et ceci n'est plus Francais, mais les Francais se sont
tellement reconnus en lui par ailleurs qu'ils lui ont pardonne ce
defaut, en faveur des autres.
Ils lui ont tout pardonne, et s'en detachent, maintenant encore, avec
peine. "Que dis-je? Tel qu'il est, le monde l'aime encore." Ce qui avait
fini par lui faire tort, c'etaient ses disciples. A force de ne pas lire
Voltaire et de l'adorer, certains en etaient tellement devenus a ne
retenir de lui que les plus aveugles de ses coleres, et les plus
etroites de ses rancunes, et les plus grossieres de ses faceties, que le
prince des hommes d'esprit etait devenu le Dieu des imbeciles. Mais ces
eleves compromettants disparaissent. La gloire de Voltaire a longtemps,
meme apres sa mort, ressemble a une popularite. Il sort, a present, de
la popularite pour entrer dans la gloire. Il n'est plus nomme que
par les hommes instruits. Ceux-ci savent qu'il est tres grand par
sa curiosite ardente, insatiable et souvent heureuse, par la langue
excellente de clarte, de vivacite et de joli tour qu'il a parlee, par sa
grace inimitable a conter sobrement et spirituellement. Ils savent qu'il
n'a pas cree un grand mouvement d'idees, qu'il n'a pas non plus une bien
grande influence sur l'histoire des lettres, n'ayant guere inspire que
la tragedie de Victor Hugo, moins le style, et la conception historique
de Victor Hugo, laquelle passe pour un peu etroite. Mais ils savent
qu'on lira toujours un Voltaire en dix volumes qui est une merveille de
bonne humeur francaise, de fine satire francaise et d'esprit francais;
et que, chose abominable, mais vraie, parmi ceux mem
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