l l'a assez meritee pour qu'on
sache gre au dieux de la lui avoir donnee, et assez surprise pour qu'on
les en accuse. Il a eu un rare bonheur, qui est que le reve qu'il a
concu pour l'humanite a ete realise pour lui. Il a reve pour les hommes
une felicite toute materielle, longue vie, bonne sante, aisance,
lectures amusantes, bon theatre et gouvernements tyranniques et
fastueux. Il a joui a peu pres de tout cela; et s'en est alle a propos
pour lui, comme il etait venu.--Il a eu plus qu'il ne souhaitait a ses
semblables: il a ete heureux apres sa mort. Une revolution faite en
opposition absolue avec celles de ses idees qui lui etaient les plus
cheres n'a pas nui a sa gloire, et, je ne sais trop pourquoi, l'a
augmentee. Il s'est trouve que de toute cette revolution, democratique,
antilitteraire, antiartistique et antifinanciere, qu'ils ont plus subie
que faite, ce que les Francais, en definitive, ont le plus aime, c'est
qu'elle etait irreligieuse, et Voltaire etait irreligieux, et il est
sorti triomphant d'une revolution qu'il eut detestee.--Une revolution
litteraire faite, non plus seulement en dehors de lui, mais contre lui,
l'a servi encore. Les Romantiques, en leur ardeur inconsideree et un peu
ignorante, ont attaque la litterature classique francaise, et Voltaire,
qui en etait l'heritier un peu indigne, s'en est trouve le representant
le plus soutenu, le plus rappele, le plus acclame, parce qu'il en etait
le plus recent; et les exces du Romantisme se sont, pendant longtemps,
tournes au profit de Voltaire, plus que de Racine. Et ainsi Voltaire
a traverse toute la periode de la Restauration et du gouvernement de
Juillet, et meme du second Empire, comme au milieu d'une conspiration
en sa faveur. Certaines petites causes ne sont pas sans une grande
importance en cette affaire. Voltaire n'avait qu'a moitie raison quand
il disait spirituellement, songeant a tout son "fatras":
..... on ne va pas sur Pegase monte
Avec si gros bagage a la posterite.
Toutes les masses sont imposantes, et combien de critiques, en un
pays ou l'on se dispense souvent de lire par admirer, se sont ecries,
quelques volumes lus: "Et il y en a encore cinquante! Il y en a toujours
encore cinquante! Que d'idees remuees! Que de savoir! Que de recherches!
Que de questions soulevees, et resolues!"--Il en faut rabattre. Quand
on a lu vraiment tout Voltaire, on sait qu'il y a relativement peu
d'idees et peu de questions dans cette encyclopedie. Il y e
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