du moyen age ressemblent a des Francais
du XVIIIe siecle, et que, par consequent, ce grand progres est bien
illusoire. C'est la "couleur locale" qu'il fallait donner au theatre
si l'on faisait tant que d'y introduire tantot des turcs et tantot des
mandarins.--Le reproche fait a Voltaire d'avoir manque de couleur locale
me touche infiniment peu. Il n'y aura jamais au theatre de couleur
locale. On appelle couleur locale ce qui distingue tellement une nation
de celle dont je suis, que je ne le comprends pas, que je n'arrive a
le comprendre qu'apres mille patients efforts. Par definition cela est
impossible a mettre au theatre,--ou, si on l'y met, sera perdu, ne
pouvant pas etre compris vite,--ou, si on l'explique longuement, fera
du drame la plus ennuyeuse des conferences. En d'autres termes, a
quelque point de vue qu'on se place, il n'en faut point. S'il est vrai
qu'un Japonais insulte s'ouvre le ventre pour venger son injure, a voir
cela en scene je ne serai point touche, n'y comprenant rien; ou si on me
renseigne par un cours sur les moeurs japonaises, je m'ennuierai.--Si
Joad m'interesse, au contraire, c'est que (sauf quelques details tres
rapidement jetes, et qui, dans cette mesure, piquent ma curiosite, et
me depaysent juste assez pour m'amuser) Joad n'est pas un pretre juif,
formellement, exclusivement; c'est un pretre chef de parti, comme moi,
homme du XVIIe siecle, sortant du XVIe, j'en connais vingt. Voila la
mesure.
Il n'y a donc pas a en vouloir a Voltaire de n'avoir point fait des
Assyriens vraiment Assyriens et des Chinois vraiment Chinois.
Mais, a ce compte, a-t-il donc en tort de sortir du domaine consacre de
l'antiquite?--Je dis encore non. La vraie couleur locale n'est pas chose
de theatre; mais depayser un peu le spectateur, sans pretendre a plus,
je l'ai dit, cela n'est point mauvais. Cela le reveille, le dispose
bien, fait qu'il ouvre les yeux, condition necessaire pour bien ecouter,
_localise_ son attention; rien de plus; mais c'est la fixer. Racine sait
bien ce qu'il fait en nous parlant du labyrinthe au debut de _Phedre_,
du serail au debut de _Bajazet_, de l'Euripe au debut d'_Iphigenie_,
et du Temple au debut d'_Athalie_. Passe le premier acte, sa tragedie
pourrait, a bien peu pres, se passer a Paris: c'est l'histoire d'une
femme amoureuse ou d'un pretre conspirateur; on n'a pas besoin de savoir
l'histoire ou la geographie pour la suivre; mais l'impression premiere
etait utile.--Voltaire, avec
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