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pour cela qu'il est exquis; c'est Voltaire lui-meme, mais moins apre et
moins irascible, au moins dans la forme, qui s'arrange et s'attife, et
se compose une physionomie et un sourire, et glisse ses epigrammes,
au lieu d'assener ses violences, avec un joli geste, adroitement,
nonchalant, de la main. Quand on ferme un de ces petits livres, on
n'a vecu ni avec Zadig, ni avec Candide, mais avec Voltaire, dans une
demi-intimite tres piquante, qui a quelque chose d'accueillant, de
gracieux et d'inquietant.
Ses billets et ses lettres sont de meme. Voyez comme c'est bien la
coquetterie qui est la region moyenne ou Voltaire se trouve le plus a
l'aise. Dans l'attaque il est grossier, et ses epigrammes sont bien
loin de valoir ses madrigaux. Rien ne degoute plus que ses factums
de poissarde contre les Desfontaines, les Freron, les Nonotte, les
Pompignan meme et les Maupertuis. On a beaucoup trop dit que la haine
l'a bien servi; et je plains un peu ceux qui prennent dans celle partie
des papiers de Voltaire l'idee qu'ils se font de l'esprit.--Et d'autre
part l'amour, l'amitie l'inspirent assez mal. Il y est froid, bref,
ou hyperbolique. Il n'a pas le ton.--Et encore la louange decidee,
dechainee et a corps perdu lui sied tres peu. Frederic et Catherine ne
peuvent s'empecher de lui dire: "Laissez-nous donc tranquilles avec vos
eternels Salomon et Semiramis."--Mais ses simples "amabilites" sont
ravissantes. Quand il a a faire sa cour a une grande dame, a un grand
seigneur, ou a Dalembert; quand il a a obtenir quelque chose, ou a
rappeler quelqu'un au souvenir de lui, ou a se faire pardonner, ou a se
faire aimer un peu et un peu craindre, ou a menager et circonvenir une
jeune gloire qui perce, il a des ressources infinies de seduction, de
finesse, de delicatesse meme, de bonne humeur, de malice qui se montre
juste assez pour qu'on voie qu'elle se cache. C'est la qu'il a mis tout
son esprit, qui fut le plus prompt, le plus eclatant, le plus souple
aussi et le plus sur de lui qui fut jamais. C'est un delice que la
premiere lettre a Rousseau (avant toute brouille) sur le discours des
_Lettres et des arts_. Jamais on n'a contredit avec tant de bonne grace,
loue avec plus de malignite badine, et salue avec plus de correction
a la fois digne, sympathique et impertinente. On sent la, qui se
dissimule, rentre au moment qu'elle sort, et ne laisse luire qu'un
eclair, une epee souple, etincelante et effilee, a poignee de nacre.--
Sa lettre
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