raison. Au fond sa
tragedie n'avait jamais ete autre chose; seulement il a mis cinquante
ans a s'en apercevoir.
Ces pieces, comme tous les ouvrages d'imitation, sont ecrites dans une
langue qui n'est ni mauvaise ni bonne, qui est indifferente. C'est une
langue de convention. Elle n'est pas plus de Voltaire que de Du Belloy;
elle est de ceux qui font des tragedies en 1750.--Il est etonnant,
meme, a quel point elle ne rappelle aucunement la langue de Voltaire.
Elle n'est pas vive, elle n'est pas alerte, elle n'est pas serree, elle
n'est pas variee de ton. Elle est extremement uniforme. Une noblesse
banale continue, et une elegance facile, implacable, voila ce qu'elle
nous presente. L'ennui qu'inspirent les tragedies de Voltaire vient
surtout de la. On souhaite passionnement, en les lisant, de rencontrer
une de ces negligences involontaires de Corneille, ou un de ces
prosaismes voulus de Racine, que Voltaire lui reproche. On souhaite un
ecart au moins, ou une faute de gout. On ne trouve, pour se divertir un
peu, que quelques rimes faibles, nombre de chevilles, et quelquefois la
fausse noblesse ordinaire tournant decidement a l'emphase, ce qui amuse
un instant.--Disons aussi qu'on peut rencontrer deux ou trois tirades
veritablement eloquentes. Celle de Luzignan dans _Zaire_ est celebre.
Elle est justement celebre. Voltaire est incapable de poesie; il n'est
pas incapable d'eloquence. Il y en a quelquefois dans la _Henriade_; il
y en a quelquefois dans les _Discours sur l'homme_, qui sont decidement
ce que Voltaire a fait de mieux en vers. Voltaire est capable de
s'eprendre d'une idee generale jusqu'a l'exprimer avec vigueur, avec
ardeur, ce qui donne le mouvement a son style, et avec eclat. Les
tragedies de Voltaire sont des melodrames entrecoupes de "Discours sur
l'homme"; on en peut detacher d'assez belles dissertations, comme celle
d'_Alzire_ sur la tolerance. C'est butin tout pret pour les "_morceaux
choisis_"; et c'est bien le peche de Voltaire, d'avoir, dans ses oeuvres
d'art, travaille pour les morceaux choisis, et peut-etre avec intention.
On a felicite Voltaire d'avoir "agrandi la geographie theatrale",
c'est-a-dire d'avoir pris ses sujets en dehors de l'antiquite, et,
indistinctement, dans tous les temps et tous les lieux, moyen age, temps
modernes, Europe, Asie, Afrique, Amerique, Extreme Orient, etc.--Puis on
le lui a reproche, en faisant remarquer combien ses Assyriens, Scythes,
Guebres, Chinois et chevaliers
|