ler.--Clytemnestre sera tuee par Oreste, mais dans la confusion
d'une melee; c'est Egisthe qu'Oreste cherchait de son poignard. Il
pourra s'excuser aupres des Furies. Notez qu'il n'a tue Egisthe lui-meme
que parce qu'Egisthe voulait le faire mourir. Il etait dans son droit;
il faut qu'il soit dans son droit. Voila la tragedie philosophique.
Cela est curieux en soi, et ensuite en ce qu'il contribue a expliquer la
derniere maniere de Voltaire tragique, ou plutot une maniere que, sans
abandonner l'autre, Voltaire a prise souvent vers la fin de sa carriere.
--Reconnaissons que, vers la fin, assez souvent, Voltaire n'imite plus.
Il invente. Il imagine des romans philosophiques vertueux, auxquels
il donne le nom de tragedie. Ce sont l'_Orphelin de la Chine_, les
_Scythes_, et les _Guebres_, et les _Lois de Minos_. Ce sont des
histoires attendrissantes, destinees a faire aimer la justice,
l'humanite et la tolerance, racontees tres lentement, sous forme de
dialogue, en vers. Au fond, ce sont des _Belisaires_. Le melodrame s'est
degage peu a peu de la tragedie et maintenant se presente a l'etat pur.
Il s'insinuait precedemment, dans une carapace de tragedie classique;
en gardait les formes exterieures; sous cette enveloppe multipliait
les complications et les rouages, et faisait du tout une tragedie a
quiproquos. Maintenant il se montre a nu, simple histoire edifiante et
un peu fade, propre a inspirer a ceux qui la liront un peu de vertu
bourgeoise, et n'est plus qu'un roman-feuilleton. L'alexandrin seul
reste encore comme marque traditionnelle d'une vieille maison.
Cette transformation de la maniere dramatique de Voltaire est due a
deux causes. D'abord elle est, comme je viens de dire, une evolution
naturelle: le melodrame a pris conscience de lui-meme, a grandi, et a
brise sa chrysalide; ensuite Voltaire a suivi son temps. Autour du lui
le melodrame, tout franc, et sans melange de vieille tragedie, s'est
produit et developpe, avec La Chaussee, plus tard avec Diderot et avec
Sedaine. Voltaire a d'abord raille ce genre de tout son coeur; puis,
apres deux ou trois variations successives, n'aimant pas a etre en
minorite, il s'est habitue a ce genre et a fait des comedies sur ce
modele; et enfin il en arrive a y plier sa tragedie elle-meme. Remarquez
que dans sa correspondance, a deux ou trois reprises, il finit par
donner a ses _Scythes_ leur veritable nom; gueri de ses vieilles
repugnances, il les appelle "_un drame_"; et il a
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