me vertu leur soit
essentielle et necessaire qu'aux grands artistes. Aux uns comme aux
autres, avec une personnalite puissante et exceptionnelle, il faut la
faculte de sortir de soi. Aux grands penseurs il faut la puissance de
s'eprendre des idees et de les aimer pour elles-memes sans consideration
de ce qu'elles peuvent avoir d'utile ou de nuisible a notre parti ou
notre fortune;--aux grands artistes il faut la connaissance de l'homme,
qui ne s'acquiert qu'en observant les autres avec impartialite,
detachement tres difficile; ou en s'observant soi-meme sans
complaisance, detachement plus rare encore;--et il leur faut
la sensibilite vraie qui est pitie de frere et non d'epicurien
aristocrate;--et il leur faut l'imagination ardente qui est plein oubli
de soi-meme et ravissement a la poursuite du beau. C'est cette puissance
de s'arracher a soi qui a toujours manque a Voltaire, soit comme
penseur, soit comme poete, et c'est pour cela qu'il n'a atteint les
sommets d'aucun art, comme il n'a touche le fond de rien.--Et comme nous
avons vu qu'il a ete conservateur sans les vertus conservatrices, deiste
sans comprendre l'idee de Dieu, monarchiste sans entendre le principe
monarchique, et ainsi de suite; il a ete poete, aussi, sans le fond et
la source vive de la poesie. Du reste, prive de ces hautes facultes
qui font l'homme superieur, n'y ayant d'homme superieur que celui qui
d'abord est superieur a lui-meme, on peut encore etre un homme curieux,
intelligent et spirituel, ce qui suffit aux genres dits secondaires, et
c'est ce que Voltaire a ete, et c'est dans ces genres qu'il a excelle.
VI
SON ART DANS LES "GENRES SECONDAIRES"
Voltaire est agilite d'esprit, par soif et veritable besoin de
connaitre. Parmi toutes ses petitesses, c'est sa noblesse et sa
distinction. Sans avoir le plein devouement au vrai, il en a le gout.
Quand ses passions ordinaires ne traversent et ne contrarient pas
celle-la, il est tres beau d'ardeur et d'impetuosite, et de patience
meme, a la recherche. Ses livres d'histoire lui font grand honneur. Ce
qu'ils ont qui les recommande le plus, c'est d'avoir ete refaits chacun
dix fois. Les nouveaux renseignements, sans relache cherches, sans
humeur accueillis, sans impatience enregistres, trouvent indefiniment
leur place dans ces volumes. Voltaire aime cette enquete sur le monde,
qu'il s'est proposee de tres bonne heure, comme sur d'une longue
existence et d'une inepuisable puissance du travail. Il l
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