voulait dire que Voltaire ne comprenait pas le theatre de
Racine. Malgre son adoration pour Racine et ses superbes mepris pour
Corneille, Voltaire, qui se croit novateur, est beaucoup plus rapproche
de Corneille que de Racine. Le theatre francais pour lui est un recueil
"d'elegies amoureuse"; c'est un _riassunto di elegie e epitalami_.
Qu'est-ce a dire? Que, comme tous les critiques depuis 1700 jusqu'a
1850 environ, il trouve Racine "tendre", ce qui est la plus incroyable
meprise litteraire qui se soit vue depuis Hesiode. Ces propos amoureux
des heros de Racine, ou, sous les politesses et les graces du langage,
il ne s'agit que d'assassinat, de suicide, de mort, de fureur et de
folie, et au bout desquels, invariablement, et comme consequences
fatales, arrivent en effet, en realite, assassinats, suicides et
"grandes tueries" et folies furieuses; ces propos, Voltaire les prend
pour des madrigaux et de langoureuses fadeurs. Donc il faut... les
supprimer, et les remplacer par des incidents. Remplacer la psychologie
tragique de Racine, qui "fait longueur", par des incidents, "parce que
toutes les tragedies francaises sont trop longues": voila le dessein et
l'effort de Voltaire.
Or remplacer le detail psychologique, qui est tout Racine, par un detail
materiel, on a dit que c'etait creer le melodrame; mais on a oublie que
Corneille l'avait cree. Il y a un Corneille, vraiment grand tragique et
vrai precurseur de Racine, qui est un psychologue un peu gauche, mais
puissant; c'est celui que les ecoliers connaissent; c'est celui qui
a cree les ames d'Auguste, de Polyeucte, de Pauline, de Camille, de
Chimene et de Viriate; mais il y a un Corneille moins connu, qui a
ecrit quarante mille vers peu lus de nos jours et qui a bati trente
melodrames, dont quelques-uns, comme _Attila_, sont inintelligibles,
dont quelques-uns, comme _Nicomede, Rodogune, Don Sanche d'Aragon_,
sont tres amusants, pleins d'_action_, d'incidents, d'entreprises, de
meprises, de surprises et de reconnaissances. C'est ce theatre-la que
Voltaire a invente. Sauf vers la fin de sa vie, et dans sa decadence
lamentable, il n'a pas invente autre chose.
Et ce n'etait pas maladroit, Racine etant tres present aux memoires,
Corneille, le Corneille melodramatiste du moins, beaucoup moins familier
aux esprits, Racine n'etant pas tres imitable, et Corneille, quand il
n'est qu'habile, pouvant etre vaincu en habilete.--Tant y a que c'est la
ce que Voltaire a fait, avec une a
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