er et je me sacrifie, mais je ne le fais pas
sans crier, et sans me plaindre, et voila pourquoi j'ai voulu vous voir
ici; c'est pour vous dire maintenant que je suis encore libre, le mot
que je ne pourrai pas prononcer demain: Guillaume, je vous aime.
Comment se trouva-t-elle dans mes bras, je n'en sais rien; mais nos
baisers se confondirent, nos coeurs s'unirent dans une meme etreinte et
ses caresses se melerent a mes caresses.
Eperdus, enivres par la joie, exaltes par la douleur, nous n'etions plus
maitres de nous.
Une lueur de raison me traversa l'esprit; je la repoussai doucement. Je
l'aimais trop pour pouvoir resister a mon amour; et, d'un autre cote, je
l'aimais trop aussi pour vouloir emporter de cette derniere entrevue un
souvenir deshonore.
--Laissez-moi, laissez-moi partir, lui dis-je; je ne peux pas te
regarder, je ne peux pas t'entendre. Adieu.
--Non, Guillaume, pas adieu; pas ainsi.
Je la repris dans mes bras, et cette fois encore, nous restames
longtemps embrasses. Mais, grace au ciel, je pus m'arracher a cette
etreinte, et, me bouchant les oreilles, fermant les yeux, je me sauvai
en courant.
XLI
Ce que furent les journees qui suivirent ce rendez-vous d'amour, notre
premier et notre dernier, je renonce a le dire.
Tantot je voulais ecrire a Clotilde pour lui demander un nouveau
rendez-vous, sous le pretexte de lui rendre ses lettres que j'avais
gardees. Et alors, profitant de son emotion et de son trouble, je ferais
d'elle ma maitresse. Au lieu de m'arracher a ses etreintes, je les
provoquerais, et si elle me resistait, je saurais bien, par un moyen ou
par un autre, la ruse ou la force, triompher de sa resistance. Une fois
qu'elle se serait donnee a moi, elle n'epouserait pas ce Solignac, et si
malgre cela elle persistait dans son dessein, j'aurais alors des droits
a faire valoir.
Tantot je voulais quitter la France, et je demandai meme a M. Bedarrides
aine de m'envoyer au Perou. Malgre mes prieres, il ne voulut pas me
laisser partir, et comme j'insistais, il me regarda un moment avec
inquietude, cherchant a lire sur mon visage si j'etais devenu fou.
Que ne l'etais-je reellement? On dit que les fous ne se souviennent pas
et qu'ils vivent dans leur reve. Peut-etre ce reve est-il douloureux,
mais il me semble qu'il ne peut pas l'etre autant que la realite, alors
que tout en nous, la raison, l'imagination, la memoire, se reunit pour
nous montrer notre malheur et nous le faire senti
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