e qu'il appelle abandonne.
--Sans doute; mais a son age il eut ete plus mauvais encore de changer
completement sa vie; c'est ce qui m'a empeche de le faire venir avec
nous, comme nous en avions l'intention.
L'entretien roula sur des sujets insignifiants; enfin je pus me lever
pour partir.
--Puisque vous habitez Paris, me dit M. de Solignac, j'espere que nous
nous verrons souvent; il est inutile de dire, n'est-ce pas, que ce sera
un bonheur pour madame de Solignac et pour moi.
Trois jours apres cette visite, je recus une lettre de M. de Solignac,
qui m'invitait a diner pour le mercredi suivant.
XLVIII
Cette invitation a diner a l'hotel de Solignac n'etait pas faite pour me
plaire.
C'etait la menace d'une intimite qui m'effrayait; car, si je pouvais
garder jusqu'a un certain point l'espoir d'eviter la presence de M.
de Solignac dans mes visites a Clotilde, j'allais maintenant subir
le supplice de l'avoir devant les yeux pendant plusieurs heures. Il
parlerait a _sa_ femme, elle lui repondrait, et je serais ainsi initie,
malgre moi, a des details d'interieur et de menage qui ne pouvaient etre
que tres-penibles pour mon amour.
Mais il n'y aurait pas que mes illusions et ma jalousie qui
souffriraient dans cette intimite.
J'avoue franchement que je ne me fais aucun scrupule d'aimer Clotilde,
malgre qu'elle soit la femme d'un autre. Je l'aimais jeune fille, je
l'aime mariee, sans me considerer comme coupable envers son mari, et je
trouve que le plus coupable de nous deux, c'est lui qui m'a enleve celle
que j'aimais. D'ailleurs, ce mari, je le meprise et le hais.
Mais, pour garder ces sentiments, il faut que je reste avec M. de
Solignac dans les termes ou nous sommes. Si je vais chez lui, si je
mange a sa table, si je deviens le familier de la maison, les conditions
dans lesquelles je suis place se trouvent changees par mon fait; je n'ai
plus le droit de le hair et de le mepriser. Si je garde cette haine
et ce mepris au fond de mon coeur, je suis oblige a n'en laisser rien
paraitre et a afficher, au contraire, l'amitie ou tout au moins la
sympathie.
La situation deviendra donc intolerable pour moi,--honteuse quand je
serai avec Clotilde et son mari,--cruelle quand je serai seul avec
moi-meme.
Il y a une question que je me suis souvent posee: la perspicacite de
l'esprit est-elle une bonne chose? Autrement dit, est-il bon, lorsque
nous nous trouvons en presence d'une resolution a prendre, de prevoir
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