s; et s'il vous faut absolument un amour au
coeur, aimez-en une autre.
Je reconnais volontiers que ce conseil est sage, et probablement c'est
celui que je donnerais a l'ami qui me conterait des peines semblables
aux miennes.
--Soyez fort, raidissez-vous, n'abdiquez pas votre volonte et votre
dignite d'homme. Il n'y a que le premier effort qui soit douloureux.
C'est une dent a arracher, rien de plus; l'os de la machoire casse, la
dent vient facilement, et l'on est heureux d'en etre debarrasse. Un peu
de poigne.
Voila bien le malheur; on se fait arracher les dents dont on souffre:
on ne se les arrache pas soi-meme. Le dentiste qui deploie une belle
solidite de poigne sur votre machoire serait beaucoup moins ferme sur la
sienne propre; au premier craquement, il lacherait la clef de Garangeot.
C'est ce qui m'est arrive chaque fois que j'ai voulu m'arracher
mon amour; j'etais bien decide; je saisissais solidement la clef,
j'appliquais le crochet; mais au moment ou il s'agissait de faire operer
le mouvement de bascule, la douleur etait plus forte que la volonte et
je n'allais pas jusqu'au bout.
Ce ne sont pas les encouragements qui m'ont manque pourtant; car, bien
que je n'aie pas parle de mon amour et n'aie point pris mes camarades
pour confidents, ceux-ci se sont bien vite apercus des changements qui
se faisaient dans ma vie, tout d'abord si reguliere et si calme.
Le jour meme de la visite de Clotilde, ils m'ont raille pendant le diner
sur ce qu'ils ont appele en riant mon devergondage.
--Vous savez qu'il est arrive aujourd'hui un fait tres-grave; une femme
a passe sur notre palier, et comme elle n'est pas venue chez moi....
--Ni chez moi.
--Elle est allee chez Saint-Neree; j'ai entendu le frou-frou de sa robe
a son arrivee et a son depart.
--C'etait peut-etre la grand'mere de notre ami.
--Ou sa soeur.
--Notre ami n'a ni grand'mere, ni soeur, mais il a un caractere
sournois; il cachait son jeu. Officier de cavalerie, oeil sentimental,
oreilles rouges et pas de maitresse, c'etait invraisemblable. Pendant
plusieurs mois, il a pu nous tromper. Mais maintenant, nous savons la
verite; cet artiste vertueux s'enfermait pour travailler.
Comme je ne repondis rien a ces plaisanteries, elles n'allerent pas
plus loin ce jour-la; mais elles recommencerent bientot. Puis, quand on
m'entendit rentrer a une heure presque toutes les nuits et me mettre au
travail des cinq heures; quand on me vit exagerer les econo
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