u, un langage muet pour nous entendre.
Si elle porte la main gauche a sa joue en me regardant, je peux
m'approcher; si, au contraire, elle ne me fait aucun signe, je dois
rester eloigne d'elle; enfin, si, pendant ma visite, elle arrange ses
cheveux de la main droite, je dois aussitot la quitter.
C'est la une de mes grandes souffrances, la plus poignante, la plus
exasperante peut-etre. Dans sa position, jeune, charmante, mariee a un
vieillard qui ne montre aucune jalousie et laisse toute liberte a sa
femme, elle doit etre entouree et courtisee. Elle l'est en effet. Tous
les hommes de son monde s'empressent autour d'elle, et meme beaucoup
d'autres, qui, s'ils n'etaient attires par sa seduction, n'auraient
jamais salue M. de Solignac et qui pour obtenir un sourire de la femme
se font les flatteurs du mari.
C'est au milieu de cette cour que bien souvent je suis oblige de la
quitter. On la presse, on la complimente, on fait la roue devant elle,
j'enrage dans le coin ou je me suis retire; elle porte la main droite a
ses cheveux, je me leve, je la salue et je pars.
Je ne dis pas un mot, mais je m'eloigne la colere dans le coeur, furieux
contre elle, qui sourit a ces hommages, furieux contre ce mari qui les
supporte, furieux contre ces hommes jeunes ou vieux, beaux ou laids,
intelligents ou betes, qui la souillent de leurs desirs.
Redescendu a ma place, je braque ma lorgnette sur la scene, mais mes
yeux, au lieu de regarder dans les tubes noircis, regardent du cote de
sa loge. Je la vois rire et plaisanter; je la vois ecouter ceux qui lui
parlent; je la vois serrer les mains qui se tendent vers les siennes;
puis, quand la toile est levee, je suis avec angoisse la direction de la
lorgnette; qui cherche-t-elle dans la salle? Qui occupe sa pensee, son
souvenir ou son caprice?
Le spectacle fini, je cours me placer dans l'escalier ou dans le
vestibule, sur son passage; je la vois passer emmitouflee dans sa
pelisse, souriant a tous ceux qui la saluent; elle me fait une
inclination de tete, un signe a peine perceptible, et c'est fini.
Je n'ai plus qu'a rentrer, a regarder la fenetre de sa chambre et a me
coucher bien vite pour me lever le lendemain a cinq heures dispos au
travail.
LII
Et qui vous force a supporter cette vie? me diraient les gens
raisonnables, si je les prenais pour confidents de ma folie. Vous n'etes
point heureux, allez-vous-en. Vous avez a vous plaindre de celle que
vous aimez, ne l'aimez plu
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