donc le doute incarne. Eh bien,
je vais vous achever. Vous connaissez Lina Boireau, n'est-ce pas?
--J'en ai entendu parler.
--Cela suffit; moi je la connais davantage, un peu, beaucoup,
tendrement, en attendant que ce soit pas du tout. Lina a une niece,
mademoiselle Zulma, une adorable diablotine de quinze uns. Zulma connait
M. de Solignac qui, depuis un an, lui veut du bien, mais en meme temps
elle connait un Arthur du nom de Polyte, qui lui veut du mal. La lutte
du bon et du mauvais principe s'est precisee hier a l'occasion d'une
lettre de cet aimable Polyte, qui est tombee entre les mains de M. de
Solignac. En se voyant trompe pour un pale voyou, car Polyte n'est,
helas! qu'un pale voyou, M. de Solignac a eu un acces de colere
terrible, et il a ete frappe d'une congestion chez Zulma, rue
Neuve-des-Mathurins. Frayeur de l'enfant qui perd la tete et s'adresse
en desespoir de cause a sa tante. On emballe M. de Solignac dans un
fiacre, car un illustre senateur, un celebre financier ne peut pas
mourir chez mademoiselle Zulma, et on l'expedie chez lui. Madame de
Solignac a du le recevoir franco, ou le cocher est un voleur.
J'etais tellement frappe de ce recit, que je restai sans repondre.
--Me croyez-vous, maintenant? Vous savez bien que M. de Solignac passe
sans cesse d'une Zulma a une autre, et qu'il lui faut absolument des
pommes vertes.
Mon parti etait pris.
--Je crois, dis-je a Treyve, que vous ferez sagement de ne pas parler de
cette congestion. Si on cache la maladie de M. de Solignac, c'est qu'on
a interet a la cacher. Je peux meme vous dire que cet interet est
considerable. Voyez donc au plus vite mademoiselle Zulma et mademoiselle
Lina, et obtenez, n'importe a quel prix, qu'elles ne parlent pas de
l'accident d'hier. Il y va de la fortune de M. de Solignac, meme de sa
vie.
Treyve leva les bras au ciel.
--Et moi, dit-il, qui viens de raconter l'histoire a Adrien Sebert; il
va l'arranger pour la mettre dans son journal.
--Qu'est-ce que c'est que M. Adrien Sebert?
--Un chroniqueur du _Courrier de Paris_. Comme l'histoire etait drole,
je la lui ai contee; elle sera ce soir dans son journal.
--Il ne faut pas qu'elle y soit. Ou est M. Sebert?
--Il m'a quitte pour aller a son journal.
--Eh bien, donnez-moi votre carte, je vais l'aller trouver; pour vous,
courez chez votre amie Lina et faites-lui comprendre qu'il ne faut pas
dire un mot de ce qui s'est passe hier.
--Ca faisait une si belle
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