ma vie?
Clotilde n'aimait pas son mari. De cela j'avais la certitude et la
preuve. Elle avait fait un mariage d'argent ou plutot de position, ce
qu'on appelle dans le monde un mariage de raison. Pauvre, elle avait
voulu la fortune, et elle l'avait prise ou elle l'avait trouvee, sans
s'inquieter de la main qui la lui offrait. Le hasard avait servi son
calcul. M. de Solignac, en dix annees, avait conquis une fortune qu'on
croyait considerable et qui lui avait cree une grande position dans la
speculation: il n'y avait pas d'affaire dans laquelle il n'eut mis les
mains.
Les predictions de mon camarade Poirier s'etaient realisees, et M. de
Solignac etait rapidement devenu une puissance financiere avec qui
on avait du compter; en ces dernieres annees, ce n'etaient plus les
aventuriers qui dinaient a sa table, des Partridge, des Torlades,
mais les grands noms du monde des affaires. Et son habilete lui avait
toujours permis de se retirer les mains pleines la ou les autres
restaient les mains vides.
Quelle influence cette fortune exercerait-elle sur Clotilde?
J'etais en train de tourner et de retourner cette question, en suivant
la rue Moncey, pour rentrer chez moi, quand je me sentis saisir par le
bras. Je levai les yeux sur celui qui m'arretait, c'etait Treyve.
--Vous sortez du chez M. de Solignac, me dit-il, comment se trouve-t-il?
--M. de Solignac, dis-je, surpris par cette interruption, mais il va
bien.
--Tout a fait bien; il ne se ressent donc pas de son attaque d'hier?
--Comment son attaque? il n'a pas eu d'attaque.
--Si vous me dites que M. de Solignac n'a pas eu d'attaque hier, c'est
que vous avez vos raisons pour cela, et je ne me permets pas de les
deviner; seulement, quand je vous dis que M. de Solignac a eu une
attaque hier soir, il ne faut pas me repondre non. Je n'avance jamais
que ce dont je suis sur, et je suis sur de cette attaque; si vous ne la
connaissez pas, apprenez-la de ma bouche et faites-en votre profit, si
profit il peut y avoir pour vous.
--Je vous repete ce que je viens d'apprendre; on m'a dit que M. de
Solignac, que je n'ai pas vu, etait indispose, voila tout.
--Eh bien, mon cher, la legere indisposition de M. de Solignac n'est
rien moins qu'une bonne congestion au cerveau, qui a ete causee hier
soir, a onze heures, par un acces de colere. Vous voyez que je precise.
--En effet, et je commence a croire que vous etes bien informe.
--Comment vous commencez? mais vous etes
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