j'avais si longtemps reve, je m'en eloignais. Et pourquoi?
Pour sauver un homme qui ne faisait que le mal sur la terre.
Sans doute c'eut ete un crime a moi, sachant ce que Clotilde m'avait
appris, d'aller repeter partout: "M. de Solignac est dans un etat
desespere, et s'il apprend la verite de la situation, il peut en
mourir." Mais ce n'est point ainsi que les choses se presentent.
Je n'ai dit a personne que M. de Solignac etait mourant, et j'ai eu meme
la generosite de demander a celui qui pouvait repandre cette nouvelle de
la cacher.
C'est bien assez. Plus serait folie. Si le journal edite cette nouvelle,
si elle arrive sous les yeux de ceux qui ont interet a la connaitre, et
par eux si elle penetre jusqu'a M. de Solignac, tant pis pour lui; ce ne
sera pas ma faute.
Dieu l'aura voulu.
Je n'avais rien a faire, je n'avais qu'a laisser faire, ce qui etait
bien different.
Cette conclusion apaisa instantanement le tumulte qui m'avait si
profondement trouble. Je m'assis sur un banc. Rien ne pressait plus,
puisque je n'irais pas au journal. Je me mis a regarder des pigeons qui
roucoulaient dans les branches.
Le jardin etait toujours desert et les oiseaux causaient en liberte. Au
loin on entendait le murmure de la ville.
--Rien a faire, me disais-je. S'il doit mourir, il mourra; s'il doit
guerir, il guerira; cela ne me regarde en rien. Les choses iront comme
elles doivent aller.
Toute la question maintenant etait de savoir s'il vivrait ou s'il
mourrait. A son age une congestion devait etre mortelle. La mort etait
donc la probabilite. Clotilde serait veuve. Enfin!
Mais a cette idee je ne sentis pas en moi la joie qui aurait du me
transporter; au contraire.
Je me levai et repris ma marche sous les arbres, plus trouble peut-etre
qu'au moment ou je discutais ma resolution; et, cependant, cette
resolution etait prise, maintenant, elle avait ete raisonnee, pesee.
D'ou venait donc le tumulte qui soulevait ma conscience?
--Et quand il sera mort, me criait une voix, crois-tu que tu ne te
souviendras pas que tu avais aux mains un moyen pour empecher cette mort
et que tu as tenu tes mains fermees? Si cette visite dont on t'a parle
a lieu, si elle le tue, pourras-tu te croire innocent? Quand tu
embrasseras ta Clotilde, qui maintenant sera bien _ta Clotilde_, un
fantome ne se dressera-t-il pas derriere elle? En racontant cette
nouvelle, Treyve ne savait pas l'effet qu'elle pouvait produire; toi, tu
le connais,
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