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ecrit sous l'oeil meme des vainqueurs: "Werder assassin."
Parti de Versailles des le matin je devais passer par Marly,
Saint-Germain, Maisons, Argenteuil, Saint-Denis pour prendre a Pantin
le chemin de fer qui m'amenerait a Nogent, et j'esperais, en me hatant,
qu'il ne me faudrait pas plus d'une bonne journee pour faire cette
route, mais comme je n'arrivai a Saint-Denis qu'apres le soleil couche,
il me fut impossible de trouver une voiture, et je dus me decider a
passer la nuit dans un pauvre hotel pres de la gare.
Bien qu'il ne fut guere attrayant ni meme engageant, il etait si bien
rempli de Parisiens attendant la naivement le moment de rentrer chez
eux, qu'on ne put me donner qu'un cabinet noir, sans fenetre, sous les
toits, et dans la salle a manger qu'une place a une petite table de cafe
deja occupee.
Mon vis-a-vis etait un homme de cinquante ans environ, de grande taille,
au visage fin, a l'air distingue et de tournure militaire. Comme je le
regardais, curieusement surpris du contraste qu'il presentait avec les
gens dont nous etions environnes, il m'examinait aussi.
--Nous n'avons pas trop l'air d'etre dans le meme commerce que ces
pistolets-la, me dit-il en souriant.
Nos noms furent bientot echanges.
Le hasard voulut qu'il connut le mien.
Le sien etait celui d'un officier de l'aristocratie demissionnant
au coup d'Etat, dans des conditions qui avaient frappe l'attention
publique, et apres etre rentre dans l'armee au moment de la guerre du
Mexique s'etait signale de telle sorte que, pendant plusieurs annees, ce
nom avait rempli les journaux.
On n'est pas romancier si l'on ne sait pas ecouter.
J'aurais bien voulu savoir ce qu'il faisait alors a Saint-Denis, et ce
qu'il attendait dans cet hotel.
Mais ce ne fut pas de cela qu'il me parla: ce fut de sa sortie de
l'armee et de ses luttes de conscience a ce moment, ce fut aussi du
Mexique.
Notre soiree se passa: lui a parler, moi a ecouter, pendant qu'autour de
Paris, au sud et a l'ouest, une de ces fusillades folles comme il y en
eut plusieurs sous la Commune, emplissait le ciel d'eclairs fulgurants
que nous suivions sur les eaux noires du canal au bord duquel nous nous
promenions: l'orage le plus terrible n'eut pas mieux enflamme le ciel et
les eaux.
Ce fut la, sous cette impression si forte et si poignante de la guerre
civile, que me vint l'idee de ce roman qui parut dans l'_Opinion
nationale_ sous le titre: _Le Roman d'une Conscience_,
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