e me
recueillir.
J'allai sur le boulevard; la aussi il y avait foule; on me coudoyait, on
me poussait; je me heurtais a des groupes que je ne voyais pas.
Et cependant j'avais besoin de ressaisir ma volonte et ma raison;
j'avais besoin de me recueillir.
L'horloge d'un kiosque sur laquelle mes yeux s'arreterent machinalement
me dit qu'il etait midi dix minutes; les journaux ne se publient
qu'apres la Bourse, j'avais du temps devant moi, je poussai jusqu'aux
Tuileries.
Tout se heurtait si confusement dans mon cerveau qu'une idee a peine
formee etait effacee par une nouvelle, il me fallait le calme pour
descendre en moi, et avant de prendre une resolution savoir nettement ce
que j'allais faire.
Il pleuvait une petite pluie fine qui avait empeche les enfants et les
promeneurs de sortir; le jardin etait desert; je ne trouvai personne
sous les marronniers, dont l'epais feuillage retenait la pluie.
Je n'etais plus distrait, je n'etais plus trouble, et cependant je ne
voyais pas plus clair en moi: j'etais dans un tourbillon, et mes pensees
tournoyaient dans ma tete comme les feuilles seches, alors que, saisies
par un vent violent, elles tournoient dans un mouvement vertigineux.
Il allait mourir, il devait mourir et je me jetais au devant de la mort
pour l'empecher de frapper son dernier coup.
Telle etait la situation; il fallait l'envisager avec calme et voir
quelle conduite elle devait m'inspirer.
Malheureusement ce calme, je ne pouvais pas l'imposer a ma raison
chancelante.
Cependant cette situation etait bien simple et je n'etais pour rien dans
les faits qui l'avaient amenee. Elle s'etait produite en dehors de moi,
a mon insu, sans que j'eusse rien fait pour la preparer. Ce n'etait pas
moi qui avais conduit M. de Solignac chez mademoiselle Zulma, pas moi
qui avais excite sa fureur, pas moi qui l'avais frappe d'une congestion
mortelle. S'il mourait de cette congestion, c'est que son heure etait
venue et que la Providence voulait qu'il mourut.
De quel droit est-ce que j'osais me mettre entre la Providence et lui?
Cela ne me regardait point. Etais-je le fils de M. de Solignac? son ami?
Son ennemi au contraire, son ennemi implacable. Il m'avait pris celle
que j'aimais, il m'avait reduit a cette vie miserable que je menais
depuis si longtemps. Il etait puni de ses infamies, et Dieu prenait
enfin pitie de mes souffrances.
Et je voulais arreter la main de Dieu! Au moment ou j'allais atteindre
le but que
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