es huit annees, la grande affaire, pour moi, n'a pas ete le
Grand-Central, l'attentat d'Orsini ou les elections de Paris, mais
simplement de savoir le lundi si Clotilde allait a l'Opera, et le mardi
si elle irait aux Italiens; puis, cela connu, ma grande affaire a ete
d'aller moi-meme a l'Opera ou aux Italiens. J'ai ete le satellite d'un
astre qui m'a entraine dans ses mouvements, ne m'en permettant pas
d'autres que ceux qu'il accomplissait lui-meme.
Il est facile de comprendre, n'est-ce pas, qu'a vivre ainsi on ne fait
pas fortune? C'est ce qui est arrive pour moi.
Pecuniairement, je suis exactement dans la meme situation qu'au moment
ou j'ai donne ma demission. Vingt fois, peut-etre cinquante fois, M. de
Solignac m'a offert des occasions superbes pour gagner sans peine de
grosses sommes qui, mises bout a bout et additionnees, eussent bien vite
forme une fortune. Mais, grace au ciel, je n'en ai jamais profite. Il
suffisait qu'elles me vinssent de M. de Solignac pour qu'il me fut
impossible de les accepter. Quant a celles qui ont pu se presenter
autrement (et dans le monde ou je vivais elles ne m'ont pas manque), je
n'ai jamais eu le temps de m'en occuper. Je ne m'appartenais pas; mon
intelligence comme mon coeur etaient a Clotilde.
Donc je n'avais rien et c'etait vraiment trop peu pour demander en
mariage une femme riche.
Si vous etiez bon pour etre son amant, me dira-t-on, vous l'etiez encore
pour devenir son mari. Sans doute, cet argument serait tout-puissant
si le monde etait organise d'apres la loi naturelle; mais comme il est
regle par les conventions sociales, ce raisonnement, qui tout d'abord
parait excellent, se trouve en fin de compte n'avoir aucune valeur.
Dans ces conditions, je n'avais qu'une chose a faire: attendre que
Clotilde me parlat de ce mariage.
Assez souvent elle m'avait dit: "Suis-je ta femme, m'aimes-tu comme ta
femme," pour me repeter ces paroles alors qu'elles pouvaient prendre une
signification immediate et devenir la realite. Il me semblait qu'elle
m'aimait assez pour venir au-devant de mes esperances.
Cependant ce ne fut point cette question de mariage qu'elle aborda, mais
bien une autre a laquelle, je l'avoue, j'etais loin de penser.
Pendant son mariage, Clotilde avait ete si peu la femme de M. de
Solignac, que je n'avais pas cru que la mort de celui dont elle portait
le nom dut amener le plus leger changement entre nous. Nous serions
un peu plus libres, voila tout, et cette
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