liberte avait ete si grande,
qu'elle ne pouvait guere l'etre davantage, a moins que je n'allasse
demeurer chez elle.
Faut-il dire que j'eus peur qu'elle ne m'en fit la proposition? Que je
la connaissais peu!
--Mon ami, me dit-elle un soir, peu de temps apres la mort de M.
de Solignac, le moment est venu de traiter entre nous une question
delicate.
--Depuis plusieurs jours j'attends que vous l'abordiez la premiere, et
je ne saurais vous dire combien je suis heureux de vous voir mettre tant
d'empressement a venir au-devant de mes desirs.
Elle me regarda avec surprise; mais j'etais si bien convaincu qu'elle ne
pouvait que vouloir me parler de notre mariage, que je ne m'arretai pas
devant cet etonnement et je continuai:
--Avant tout, laissez-moi vous dire ce que vous savez, mais ce que je
veux repeter, c'est que rien n'est au-dessus de mon amour pour vous;
c'est cet amour qui a fait ma vie, il la fera encore. Assurement, le
role que joue dans le monde un homme pauvre qui epouse une femme riche
est fort ridicule, et il l'expose a toutes sortes d'humiliations, a
toutes sortes d'accusations. Personne ne veut admettre la passion, tout
le monde croit a la speculation. Que cela ne vous arrete pas: aime par
vous, les accusations ne m'atteindront pas, les humiliations glisseront
sur mon coeur, si bien rempli qu'il n'y aura place en lui que pour la
joie.
Elle ne me laissa pas aller plus loin; de la main elle m'arreta:
--Ce n'est pas de l'avenir que je veux vous parler, me dit-elle, nous
avons tout le temps de nous en occuper, c'est du present. La mort de M.
Solignac m'impose des convenances que nous devons respecter.
--Ah! c'est de questions de convenances que vous voulez m'entretenir,
dis-je, tombant du reve dans la realite, rougissant de ma naivete,
humilie de ma sottise, profondement blesse dans ma confiance.
--Vous sentez, n'est-ce pas, que nous ne pouvons pas garder maintenant
les habitudes que nous avions au temps de M. de Solignac.
--Vraiment?
--Oh! j'entends en public. Une veuve est obligee a une reserve dont une
femme est affranchie par l'usage.
--L'usage est admirable.
--Il ne s'agit pas de savoir s'il est ou s'il n'est pas admirable;
il est, cela suffit pour que je desire lui obeir et pour que je vous
demande de me faciliter cette tache... penible. Si vous y consentez,
nous ne nous verrons donc que dans l'intimite la plus etroite. Si nous
etions maintenant ce que nous etions naguere, ce sera
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