main pour lui
rapporter une reponse definitive.
LVIII
Il y a si longtemps que j'ai interrompu le recit de mes confidences,
que je ne sais trop ou je l'ai arrete. Tant de choses se sont passees
depuis, que les faits se brouillent dans ma memoire et que je ne sais
plus ce que j'ai dit ou n'ai pas dit. Il me semble que j'en etais reste
a ma premiere entrevue avec Poirier, celle dans laquelle il m'a propose
de venir au Mexique. C'est la que je vais reprendre mon recit. Si je me
repete, je reclame ton indulgence.
Je sortis de chez Poirier fort trouble, perplexe et incertain sur ce que
je devais faire. Ce mirage des millions m'avait ebloui; je ne voyais
plus clair en moi. Sensible a l'argent, quelle chute et quelle honte!
Mais en realite ce n'etait pas a l'argent que j'etais sensible, c'etait
au but qu'il me permettait d'atteindre promptement et surement. En
prenant du service dans l'armee americaine j'arriverais peut-etre a
conquerir un grade eleve. Mais il y avait un peut-etre, tandis que
dans la proposition de Poirier, il y avait une certitude. C'etait une
fortune, et cette grosse fortune me donnait Clotilde et ma fille; en
quelques mois, j'obtenais la realisation assuree de mes desirs. A mon
retour du Mexique, je pouvais parler hautement, et Clotilde n'avait plus
de raisons pour se defendre et attendre.
On dit qu'on ne peut pas savoir si l'on est solidement honnete, quand
on ne s'est pas trouve mourant de faim, devant un pain qu'on pouvait
derober en allongeant la main. On devrait dire de meme qu'on ne sait pas
quelle est la solidite de la conscience, quand elle n'a eu a lutter que
pour resister a nos propres besoins et non a ceux des etres que nous
aimons. Se sacrifier a son devoir n'est pas bien difficile; ce qui
l'est, c'est de sacrifier sa femme, son enfant.
Seul, j'avais donne ma demission pour ne pas servir le gouvernement du
coup d'Etat! Amant et pere, je balancais pour savoir si j'accepterais
ou refuserais de m'associer a l'auteur meme de ce coup d'Etat. Que
de distance parcourue en dix annees! Autrefois, la seule idee d'une
pareille association m'eut indigne; maintenant je la discutais et je
cherchais des raisons pour ne pas la repousser.
Par malheur je n'en trouvais que trop. Cependant quand j'allai le soir
chez Clotilde, j'etais encore irresolu.
Elle etait si bien habituee a lire sur mon visage ce qui se passait dans
mon ame ou dans mon esprit, que son premier mot fut pour me demander
quel
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