reclame a sa niece. Enfin, je vous promets de
faire le possible et meme l'impossible.
--Notez que le secret n'a d'importance que tant que M. de Solignac est
en vie; le jour de sa mort on pourra parler.
--Et s'il ne meurt pas?
LV
S'il ne meurt pas.
Ce fut le mot que je me repetai en allant aux bureaux du _Courrier de
Paris_.
S'il ne meurt pas, notre situation reste ce qu'elle a ete depuis
plusieurs annees.
S'il meurt au contraire, Clotilde est libre, et moi je suis affranchi de
toutes les servitudes, de toutes les hontes que j'ai du m'imposer depuis
que je suis son ami.
Car il y a cela de terrible dans ma position que pour le monde je suis
"l'ami de la maison", aussi bien celui du mari que celui de la femme; et
le monde n'a pas tort. Par ma conduite, par mon attitude tout au moins
avec M. de Solignac, j'ai autorise toutes les insinuations, toutes les
accusations. Comment le monde, en me voyant sans cesse a ses cotes, en
apprenant certains services que je lui rendais, ou, ce qui est plus
grave encore, ceux que je me laissais rendre par lui; en trouvant nos
noms meles dans mille circonstances ou ils n'auraient pas du l'etre,
comment le monde eut-il pu supposer que les apparences etaient
mensongeres et qu'en realite, au fond du coeur, je n'avais pour cet
homme que de la haine et du mepris?
Quel poids sa mort m'enleverait de dessus la conscience! plus
d'hypocrisie, plus de bassesses, plus de lachetes; Clotilde libre et moi
plus libre qu'elle.
Je ne serais pas sincere si je n'avouais pas que bien souvent j'avais
pense a cette mort. Plus d'une fois je m'etais ecrie: "Je n'en serai
donc jamais delivre!" Mais il etait si solidement bati, si vigoureux, si
resistant, que cette mort ne m'etait jamais apparue que dans un lointain
brumeux. La realite avait ete plus vite que ma pensee. Maintenant il
etait mourant.
Et pour qu'il mourut, pour que Clotilde fut libre, pour que je le fusse,
je n'avais qu'un mot a dire ou plutot a ne pas dire.
J'etais arrive devant les bureaux du _Courrier de Paris_, je m'arretai
pour reflechir un moment; mais les passants qui allaient et venaient sur
le trottoir ne me permettaient pas d'etre maitre de ma pensee. Ou
plutot le trouble qui s'etait fait en moi ne me permettait pas de
peser froidement les idees qui s'agitaient confusement dans mon ame.
J'attribuais mon agitation aux distractions exterieures quand, en
realite, c'etait un bouleversement interieur qui m'empechait d
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