illeur
regiment de l'armee.
Ils passent, ils sont passes.
--Pourquoi n'etes-vous pas a leur tete? me dit Clotilde; vous seriez
leur colonel.
Oui, pourquoi ne suis-je pas avec eux? Ce mot jete au milieu du
tourbillon de mes souvenirs m'ecrasa. Je quittai le balcon et j'allai
m'asseoir dans un coin de la chambre; que m'importait ce defile
maintenant, je n'etais plus dans le present, j'etais dans le passe,
j'etais avec ceux au milieu desquels ma jeunesse s'etait ecoulee.
L'antiquite a fait une fable de la robe de Nessus, l'uniforme s'attache
a la peau comme cette robe legendaire, et quoi qu'on fasse on ne peut
pas l'arracher.
Je voulus les revoir, et, au lieu de rester a diner chez Clotilde, comme
je le devais, je m'en allai a Vincennes.
Les troupes rentraient dans leur camp qui occupait le grand espace
denude compris entre le chateau et le fort de Gravelle.
Beaucoup de jeunes officiers et de jeunes soldats regarderent avec
indifference ou dedain ce pekin qui venait roder autour de leur
campement; mais les vieux voulurent bien me reconnaitre et me faire
fete.
Ce fut le trompette Zigang qui, le premier, me reconnut: je m'etais
arrete devant lui; il me regarda d'un air goguenard en me lancant au
nez quelques bouffees de tabac, puis ses yeux s'agrandirent, sa bouche
s'ouvrit, son visage s'epanouit; vivement, il retira sa pipe de ses
levres, et, portant la main a son kepi:
--Hola, c'est le _gabidaine_.
Que de choses s'etaient passees depuis que j'avais quitte le regiment!
Que de questions! Que de recits!
La soiree s'ecoula vite; puis apres la soiree, une bonne partie de la
nuit. On ne voulut pas me laisser rentrer a Paris, et je couchai sous la
tente roule dans une pelisse qu'on me preta.
En sentant le drap d'uniforme sous ma joue, la tete pleine de recits et
de souvenirs, le coeur emu, je revai que j'etais soldat et que je devais
dormir d'un sommeil leger pour etre pret a partir le lendemain matin en
expedition.
Le froid de l'aube me reveilla, car j'avais perdu l'habitude de coucher
en plein air; mais mon reve se continua.
Pourquoi ce reve ne serait-il pas la realite? Ils allaient partir,
pourquoi ne pas les suivre et retourner en Afrique? Pourquoi ne pas
redevenir soldat?
C'etait au regiment qu'etait le calme moral, la tranquillite de
l'esprit, la vie que j'aimais.
Qu'etais-je a Paris? L'amant d'une femme qui m'avait trahi, rien de
plus. Que serais-je demain? Ce que j'avais ete hier, son
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