us presses de profiter de la position qu'ils
ont su conquerir brusquement et inesperement, qu'ils ont attendu plus
longtemps. Ils ne sont point, comme leurs devanciers, restes derriere le
grillage de leur caisse, se contentant d'en ouvrir le guichet pour
ceux qui voulaient y verser leur argent. Ils ont pris la peine d'aller
eux-memes a la recherche de cet argent, et tous les moyens, toutes les
amorces, tous les appats leur ont ete bons pour le faire sortir. La
revolution de 1848 a fait entrer le peuple dans la politique en lui
donnant le suffrage universel, le coup d'Etat le fait entrer dans la
speculation.
Je ne veux rien dire du suffrage universel, bien que je sois
terriblement irrite contre lui, depuis qu'il a eu la faiblesse
d'absoudre l'auteur du Deux-Decembre, mais, la speculation universelle,
je n'en veux a aucun prix, et je n'irai pas me faire un de ses agents et
de ses courtiers. Le beau resultat quand la contagion des affaires aura
penetre jusque dans les villages et quand le paysan lui-meme aura souci
de la cote de la Bourse: la fievre de l'or est la maladie la plus
effroyable qui puisse fondre sur un peuple.
Je ne sais si M. de Solignac pense comme moi sur ce sujet et s'il ne
croit pas, au contraire, que les meilleurs gouvernements sont ceux qui
developpent la fortune publique. Mais peu importe; il suffit que mon
sentiment sur l'agiotage soit ce qu'il est pour m'empecher de m'associer
a ses speculations pour la part la plus minime, alors meme que j'aurais
la preuve de l'honnetete parfaite du speculateur.
L'associe de M. de Solignac, moi!
Cette idee seule me fait monter le sang de la honte au front.
L'associe d'un homme que je meprise et que je hais: divises par notre
amour, reunis par notre interet.
C'est deja trop de honte pour moi que la lachete de ma passion me fasse
aller chez lui et m'oblige a lui serrer la main, a manger a sa table, a
l'ecouter, a lui sourire.
Mon amour m'est jusqu'a un certain point une excuse; mais l'interet?
Pendant que Poirier m'exposait son plan, je me demandais comment il en
avait eu l'idee, s'il en etait le seul auteur, et si Clotilde ne le lui
avait point suggere. Je voulus l'interroger a ce sujet, mais je n'osai
le faire directement, et mes questions timides n'eurent d'autre resultat
que d'amener chez mon ancien camarade une chaleureuse protestation de
devouement: il avait voulu m'etre utile, et son experience de la vie en
meme temps que son amitie pour moi lu
|