est bon; je vous engage a en prendre.
XLIX
Si je ne disais pas, a chaque instant, comme le pianiste: "Quel drole de
monde," je n'en faisais pas moins mes reflexions sur les convives de M.
de Solignac.
Bien souvent, dans les premieres annees de ma vie de soldat, alors que
je parcourais les garnisons de la France, il m'etait arrive de diner
chez des fonctionnaires dont les convives reunis par le hasard se
connaissaient assez peu pour qu'il y eut a table une certaine reserve,
melee quelquefois d'embarras. Mais ce que je voyais maintenant ne
ressemblait en rien a ce que j'avais vu alors.
Evidemment les invites de M. de Solignac avaient eux aussi ete reunis
par le hasard, mais ce n'etait point de l'embarras qui regnait entre
eux, c'etait plutot de la defiance; a l'exception de Treyve qui s'etait
ouvert a moi en toute liberte, chacun semblait se garder de son voisin;
c'etait a croire que ces gens qui paraissaient ne pas se connaitre,
se connaissaient au contraire parfaitement et se craignaient ou se
meprisaient les uns les autres. Quand on prononcait le nom du baron
Torlades, le prince Mazzazoli avait un sourire indefinissable, et quand
le Portugais s'adressait a l'Italien, il avait une maniere d'insister
sur le titre de prince qui promettait de curieuses revelations a celui
qui eut voulu les provoquer.
N'y avait-il la que des princes, des barons et des comtes de fantaisie?
La question pouvait tres-bien se presenter a l'esprit. En tous cas, que
ceux qui prenaient ces titres en fussent ou n'en fussent pas legitimes
proprietaires, il y avait une chose qui sautait aux yeux, c'est qu'ils
avaient tous l'air de parfaits aventuriers, meme le patriarche anglais
dont la respectabilite, les cheveux blancs, les gestes benisseurs
appartenaient a un comedien "qui s'est fait une tete."
La politique bannie de la conversation on se rabattit sur les affaires
et tous ces nobles convives revelerent une veritable competence dans
tout ce qui touchait le commerce de l'argent.
Si curieux que je fusse de connaitre les relations de M. de Solignac par
ces conversations, et d'eclaircir ainsi plus d'un point obscur dans sa
vie, je me laissai distraire par Clotilde.
Tout d'abord je m'etais contente d'echanger avec elle un furtif regard,
mais bientot je remarquai qu'elle etait engagee avec Poirier dans une
conversation intime qui a la longue me tourmenta.
Pendant que le venerable Partridge repliquait au baron portugais ou un
comte
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