--Vous etes plus begueule qu'elle ne l'est elle-meme; car je vous assure
que, pendant tout le diner, elle a eu plaisir a me parler de vous.
--Et que vous disait-elle?
--Elle m'a raconte comment vous etiez devenu l'ami de son pere, et...
le sien. Si je me trompe dans l'ordre des faits, reprenez-moi, je vous
prie; faut-il dire que vous etes devenu d'abord l'ami de mademoiselle
Martory et ensuite celui du general, ou bien faut-il dire que vous avez
commence par le general et fini par mademoiselle Martory; mais peu vous
importe, n'est-ce pas?
--Parfaitement.
--Je m'en doutais. Je continue donc. Apres m'avoir parle de votre
intimite, elle m'a dit comment vous aviez donne votre demission, et
c'est la ce qui a singulierement allonge notre entretien, car j'avoue
que bien que vous m'ayez prouve que nous ne jugions pas les choses de ce
monde de la meme maniere, j'etais loin de m'attendre a ce qu'elle m'a
appris. Comment diable, si vous desapprouviez le coup d'Etat, et je
comprends cela de votre part, n'etes-vous pas reste a Paris et pourquoi
etes-vous retourne a Marseille ou vous etiez expose a marcher avec votre
regiment?
--Vous avez donne la raison de ma determination tout a l'heure, je ne
juge pas les choses de ce monde comme vous.
--Enfin, vous vous etes mis dans la necessite d'abandonner votre
detachement, pour ne pas faire fusiller vos amis par vos soldats.
--C'est cela meme.
--Savez-vous que vous vous etes tire de cette affaire tres-heureusement
pour vous; il y a des officiers detenus dans la citadelle de Lille pour
en avoir fait beaucoup moins que vous, car ils ont simplement refuse de
preter serment.
--Je n'ai rien demande, et je serais alle au chateau d'If sans me
plaindre, s'il avait plu au general de m'y envoyer.
--Dieu merci, cela n'est point arrive; mais enfin il n'en est pas moins
vrai que vous voici sorti de l'armee, ce qui n'est pas gai pour un
officier comme vous, amoureux de son metier. J'ai ete a peu pres dans
cette position pendant un moment et je sais ce qu'elle a de triste.
--Il ne fallait pas faire le 2 Decembre; sans votre coup d'Etat je
serais toujours capitaine.
--L'interet du pays.
--Il n'y a rien a dire a cela; aussi je ne dis rien.
--Sans doute, mais vos amis disent pour vous.
--Mes amis parlent trop.
--Vos amis repondent aux questions d'un autre ami qui les interroge.
Croyez-vous que je n'ai pas presse de questions madame de Solignac quand
j'ai su que vous aviez
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