es marchands de tableaux, et tout
etait dit; on avait pris l'air et on avait fait de l'exercice.
Pour moi, il m'en fallait davantage. J'avais pris dans ma vie active,
en plein air, des besoins et des habitudes que cette vie renfermee ne
pouvait contenter. Assurement, si j'avais du rester dans un bureau,
comme j'en avais ete menace un moment, je serais mort a la peine,
asphyxie, ou bien j'aurais fait explosion, ni plus ni moins qu'une
locomotive dont on renverse la vapeur quand elle est lancee a grande
vitesse. J'etouffais dans mon logement encombre de meubles, comme un
oiseau mis brusquement en cage, et comme un poisson dans son bocal,
j'ouvrais betement la bouche pour respirer. J'enviais le sort des
charbonniers qui montaient des charges de bois au cinquieme etage, et
volontiers j'aurais ete m'offrir pour frotter les appartements de la
maison, afin de me degourdir les jambes. Dans la rue, je faisais
le moulinet avec mon parapluie, car maintenant je porte ce meuble
indispensable a la conservation de mon chapeau; mais cette arme
bourgeoise ne fatigue pas le bras comme un sabre, et c'etait la fatigue
que je cherchais, c'etait beaucoup de fatigue qu'il me fallait pour
depenser ma force et bruler mon sang.
Ce fut surtout au commencement du printemps que ces habitudes
sedentaires me devinrent tout a fait insupportables.
La senteur des feuilles nouvelles qui, du jardin de Clotilde, montait
jusqu'a ma chambre, m'etouffait: l'odeur de la seve et des giroflees
me grisait. A voir les oiseaux se poursuivre dans le jardin, allant,
venant, tourbillonnant sur eux-memes, sifflant, criant, se battant, je
pietinais sur place et mes jambes s'agitaient mecaniquement. J'avais
beau m'appliquer au travail, des mouvements de revolte me faisaient
jeter mon crayon, et alors je m'etirais les bras en baillant d'une facon
grotesque. Je ne mangeais plus; la vue du pain me soulevait le coeur,
l'odeur du vin me donnait la nausee, et volontiers j'aurais ete me
promener a quatre pattes dans les pres et brouter l'herbe nouvelle.
J'ai toujours cru que la plupart de nos maladies nous venaient par notre
propre faute, de sorte que si nous voulions veiller aux desordres qui se
produisent dans la marche de notre machine, nous y pourrions remedier
facilement. Etre malade a Paris ne me convenait pas; en Afrique, a la
suite d'un refroidissement ou d'une insolation, c'est bon, on subit les
coups de la fievre, et l'on s'en va a l'hopital avec les camarades;
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