e vous apercevoir. Mais je ne suis pas libre, mon temps est
occupe, il faut que je travaille.
--C'est un travail, ce dessin? dit-elle, en venant a ma table.
--C'est pour un grand ouvrage sur la guerre, dont je dois faire les
gravures. Mais ne parlons pas de cela.
--Parlons-en, au contraire. Croyez-vous donc que je sois indifferente a
ce qui vous touche? C'est un peu pour l'apprendre que je me suis decidee
a cette visite: puisque vous ne vouliez pas venir chez moi, il fallait
bien que je vinsse chez vous.
--Chere Clotilde....
Mais elle m'arreta.
--J'ai une heure a passer avec vous, dit-elle en riant, ne
m'offrirez-vous pas un siege?
Elle attira un fauteuil, et de la main me montrant une chaise a cote
d'elle:
--Maintenant, causons raisonnablement, n'est-ce pas? Je vous croyais en
Espagne, je vous retrouve a Paris; je vous croyais commercant, je vous
retrouve artiste; cela merite quelques mots d'explication, il me semble.
Il etait evident qu'elle voulait diriger notre entretien, de maniere a
ne pas le laisser aller trop loin; et avec son habilete a effleurer
les sujets les plus dangereux sans les attaquer serieusement, avec
sa legerete de parole, son art des sous-entendus, avec son adresse a
attenuer ou a souligner du regard ce que ses levres avaient indique,
elle pouvait tres-bien se croire certaine de me maintenir dans la limite
qu'elle s'etait fixee.
En tout autre moment il est probable qu'elle eut reussi a me conduire ou
il lui plaisait d'aller, mais nous n'etions pas dans des circonstances
ordinaires. Les sentiments que j'eprouvais en sa presence et sous le feu
de son regard ne ressemblaient en rien a ceux que je m'imposais loin
d'elle alors que je raisonnais froidement mon amour et le reglais
methodiquement.
Elle m'etait apparue au moment meme ou je la croyais perdue a jamais, et
ce coup de foudre m'avait jete hors de moi-meme: les quelques secondes
pendant lesquelles je l'avais pressee dans mes bras m'avaient enivre.
Maintenant, elle etait chez moi, nous etions seuls, a deux pas l'un
de l'autre; je la voyais, je la respirais, et ma main, mes bras, mes
levres, etaient irresistiblement attires vers elle, comme le fer l'est
par l'aimant, comme un corps l'est par un autre corps electrise: il y
avait la une force toute-puissante, une attraction mysterieuse qui me
soulevait pour me rapprocher d'elle.
Il ne pouvait plus etre question de prudence, de raison, d'avenir, de
passe: le present parlait
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