cile.
--Facile! vous ne diriez pas ce mot si vous m'aimiez comme je vous aime.
--Alors je dois partir, et nous ne nous verrons plus.
--Non, restez et laissez-moi reprendre ma raison si je peux imposer
silence a mon amour.
Elle reprit sa place dans le fauteuil qu'elle avait quitte et je m'assis
en face d'elle, mais assez loin pour ne pas subir le contact de sa robe.
Puis, pour ne pas la voir, je me cachai la tete entre mes deux mains.
Pendant un quart d'heure, vingt minutes peut-etre, je restai ainsi.
Tout a coup je sentis un souffle tiede sur mes mains: Clotilde s'etait
agenouillee devant moi.
--Guillaume, mon ami, dit-elle d'une voix suppliante.
Je la regardai longuement, puis mettant ma main dans la sienne:
--Eh bien, lui dis-je, ordonnez, je suis a vous.
Alors, elle se releva vivement et, effleurant mes cheveux de ses levres:
--Guillaume, dit-elle, je t'aime.
XLVII
Quand je lis un roman, j'envie les romanciers qui savent voir dans l'ame
de leurs personnages, et qui peuvent, d'une main sure, comme celle de
l'anatomiste, analyser et expliquer leurs sentiments.
"Les levres de Metella disaient je t'aime, mais son coeur au contraire
disait je ne t'aime pas."
Ou le trouvent-ils ce coeur, et par quels procedes peuvent-ils lire ce
qui se passe dedans? C'est cet interieur qu'il est curieux et utile de
connaitre.
Mais, dans la vie, les choses ne se passent pas tout a fait comme
dans les romans, meme dans ceux qui s'approchent le plus de la verite
humaine. Les gens qu'on rencontre communement et avec lesquels on se
trouve en relations ne sont point des personnages typiques: ils ne se
montrent point dans une action habilement combinee pour arriver a la
revelation d'un caractere, ils ne prononcent point, a chaque instant de
ces mots qui dessinent une situation, expliquent une passion, eclairent
le _dedans_. Ils n'ont point un relief extraordinaire et il vivent sans
aucune de ces exagerations dans un sens ou dans un autre, en beau ou en
laid, en bien ou en mal, que la convention litteraire exige chez les
personnages que la fiction met dans les livres ou sur le theatre.
De la une difficulte d'observation d'autant plus grande que pour
chercher et decouvrir le vrai, nous ne sommes pas des psychologues
extraordinaires armes de methodes infaillibles pour lire dans l'ame de
ceux que nous etudions. Tous nous sommes generalement coules dans le
moule commun, et comme nous n'avons ni les uns ni les aut
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