mais
a Paris etre malade parce que les merles chantent et que les feuilles
bourgeonnent, c'est trop bete.
Sans aller consulter un medecin, qui m'eut probablement ri au nez, ou,
ce qui est tout aussi probable, m'eut interroge serieusement, ce qui
m'eut fait rire moi-meme, je resolus d'apporter un remede a cet etat
ridicule.
Ma maladie etait causee par l'exces de la force et de la sante, je
cherchai un moyen pour user cette force, et tous les jours, en sortant
de la Bibliotheque ou des Estampes, je m'administrai une course rapide
de deux a trois heures.
Dans la rue Richelieu, sur les boulevards et dans les Champs-Elysees, je
marchais raisonnablement, de maniere a ne pas attirer sur mes talons
les chiens et les gamins; mais une fois que j'avais gagne le bois de
Boulogne dans ses parties desertes, je prenais le pas gymnastique et je
me donnais une _suee_, exactement comme un cheval qu'on fait maigrir.
Par malheur, la solitude devient difficile a rencontrer dans le bois de
Boulogne ou jamais on n'a vu autant de voitures que maintenant. C'est a
croire que les gens a equipages n'avaient pas ose sortir depuis 1848, et
que maintenant que "l'ordre est retabli," ils ont hate de regagner
le temps perdu. De quatre a six heures, les Champs-Elysees sont
veritablement encombres et Paris prend la une physionomie nouvelle. Il
y a trois mois que le coup d'Etat est accompli et maintenant que "les
mauvaises passions sont comprimees," on ose s'amuser: il y a une
explosion de plaisirs, c'est vraiment un spectacle caracteristique et
qui meriterait d'etre etudie par un moraliste.
Il est certain qu'une grande partie de la France a amnistie
Louis-Napoleon. Elle lui est reconnaissante d'avoir assume sur sa
tete cette terrible responsabilite qui a assure au pays une securite
momentanee, et dont elle profite pour faire des affaires ou jouir de la
fortune. Le nombre est considerable des gens pour lesquels la vie se
resume en deux mots: gagner de l'argent et s'amuser; et le gouvernement
qui s'est etabli en decembre donne satisfaction a ces deux besoins.
C'est la ce qui fait sa force; il a avec lui ceux qui veulent jouir de
ce qu'ils ont, et ceux qui veulent avoir pour jouir bientot.
La fete a commence avec d'autant plus d'impetuosite, qu'on attendait
depuis longtemps: les affaires ont pris en quelques mois un
developpement qu'on dit prodigieux, et les plaisirs suivent les
affaires.
Ceux qui comme moi n'ont ni affaires ni plaisirs, reg
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