ardent passer le
tourbillon et reflechissent tristement.
Car il n'y a pas d'illusion possible, le succes du Deux-Decembre a
ecrase toute une generation.
Quel sera notre role dans ce tourbillon? on agira et nous regarderons;
nous serons l'abstention.
En est-il de plus triste, de plus miserable, quand on se sent au coeur
le courage et l'activite? On aurait pu faire quelque chose, on aurait pu
etre quelqu'un; on ne fera rien, on sera un impuissant. On attendra.
Mais combien de temps faudra-t-il attendre? Les jours passent vite, et
si jamais l'heure sonne pour nous, il sera trop tard; l'age aura rendu
nos mains debiles.
Nos enfants seront; nos peres auront ete; nous seuls resterons noyes
dans une epoque de transition, subissant la fatalite.
Ces pensees peu consolantes sont celles qui trop souvent occupent
mon esprit dans mes longues promenades; car, par suite d'une bizarre
disposition de ma nature, plus ce qui m'entoure est rejouissant pour les
yeux, plus je m'enfonce dans une sombre melancolie. C'est au milieu des
bois verdoyants que ces tristes idees me tourmentent, et, au lieu de
regarder les aubepines qui commencent a fleurir, de respirer l'odeur des
violettes qui bleuissent les clairieres, d'ecouter les fauvettes et les
rossignols qui chantent dans les broussailles, je me laisse assaillir
par des reflexions qui, autrefois, me faisaient rire et qui,
aujourd'hui, me feraient volontiers pleurer.
Avant-hier, m'en revenant a Paris par l'allee de Longchamps a ce moment
deserte, j'entendis derriere moi le trot de deux chevaux qui arrivaient
grand train. Machinalement je me retournai et a une petite distance
j'apercus un coupe: le cocher conduisait avec la tenue correcte d'un
Anglais, et les chevaux me parurent etre des betes de sang.
En quelques secondes, le coupe se rapprocha et m'atteignit. Je reculai
contre le tronc d'un acacia pour le laisser passer et pour regarder les
chevaux qui trottaient avec une superbe allure: car bien que j'en sois
reduit maintenant a faire mes promenades a pied, je n'en ai pas moins
conserve mon gout pour les chevaux, et c'est ce gout qui m'a fait
choisir le bois de Boulogne comme le but ordinaire de mes promenades;
j'ai chance d'y voir de belles betes et de bons cavaliers qui savent
monter.
J'etais tout a l'examen des chevaux, ne regardant ni le coupe ni ceux
qui pouvaient se trouver dedans, lorsqu'une tete de femme se tourna de
mon cote.
Clotilde!
Elle me fit signe de
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