rriblement douloureuse.
Lorsque Clotilde ignorait ma presence a Paris et me croyait en Espagne,
j'avais pu l'aimer de loin et me contenter du plaisir de la suivre a
distance; son apparition dans le jardin m'etait un bonheur; sa lampe a
sa fenetre au milieu de la nuit m'etait une joie. Mais maintenant me
serait-il possible de m'en tenir a ces satisfactions platoniques? Est-ce
que cent fois je n'avais ete oblige de me rejeter en arriere pour ne pas
lui crier: Je suis la, je t'aime, je t'adore! Quand elle se montrerait
maintenant dans son jardin, ses yeux, au lieu de se baisser sur ses
fleurs, se leveraient vers mes fenetres, aurais-je la force de resister
a leur appel? Si j'y parvenais, de quel prix me faudrait-il payer cette
resistance? Si je n'y parvenais pas, qu'arriverait-il?
Je n'avais deja que trop parle. Bien que je n'eusse pas dit un mot de
mon amour, Clotilde savait mieux que par des paroles que je l'aimais
encore et que, malgre sa trahison, je n'avais pas cesse de l'aimer. De
cet aveu tacite, elle ne s'etait point fachee, elle ne s'etait meme pas
inquietee, et son dernier mot en me quittant avait ete le meme que celui
par lequel elle m'avait aborde, une invitation a l'aller voir chez elle.
Ainsi elle supprimait entre nous son mariage, et notre vie devait
reprendre comme autrefois. Nous avions ete separes par la force des
circonstances, nous nous retrouvions, nous reprenions notre vie ou elle
avait ete interrompue, comme si rien ne s'etait passe d'extraordinaire.
Les femmes sont vraiment merveilleuses pour supprimer ainsi dans
leur vie ce qui les gene et vouloir que par une convention tacite on
considere comme n'existant pas des gens qu'on a devant les yeux ou des
faits qui vous ont ecrase.--"Je suis mariee, c'est vrai, mais qu'importe
mon mariage si je suis toujours la Clotilde d'autrefois? Mon mariage,
il n'y faut pas penser; mon mari, il ne faut pas le voir. Nous avions
plaisir autrefois a etre ensemble. Reprenons le cours de nos anciennes
journees. Voyons-nous comme nous nous voyions autrefois. Avez-vous donc
oublie? moi je me souviens toujours."
Si telles n'avaient point ete les paroles de Clotilde, telle etait la
traduction fidele de notre entretien dans ce langage mysterieux ou les
regards, les serrements de main, les silences, les intonations, les
sourires ont bien plus d'importance que les mots, ou la musique est
tout, ou les paroles ne sont que peu de chose.
Elle voulait me voir chez elle; et
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