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Oublier, ne plus penser, suspendre le cours de la vie morale, c'etait la
ce que je voulais, ce que je cherchais. Les efforts memes que je faisais
pour m'arracher a mon obsession, m'y ramenaient irresistiblement.
Le travail de mon bureau, auquel je m'etais applique dans les premiers
temps, quand j'esperais qu'il me rapprocherait un jour de Clotilde,
n'etait pas de nature, maintenant que je n'avais plus d'esperance
d'aucune sorte, a retenir mon esprit captif. Je faisais ma besogne
parce que notre main nous obeit toujours; mais ma tete n'avait pas, par
malheur, la docilite de mes doigts, et les traductions que j'apportais
aux freres Bedarrides etaient pleines d'erreurs grossieres. Ils me
reprenaient doucement, sans se facher; ils s'inquietaient de ce qui se
passait en moi; et dans leur bienveillante indulgence, ils trouvaient
des raisons pour m'excuser: la mort de mon pere, ma demission qui
troublaient ma raison.
M. de Solignac etait devenu un personnage dont les journaux
s'occupaient; un matin, en ouvrant le _Semaphore_, pour y chercher un
renseignement commercial, mes yeux furent attires par son nom qui, au
milieu des lettres noires, flamboya pour moi en caracteres de feu. Je
voulus ne pas lire, et vivement je repoussai le journal; mais bientot,
je le repris: un entrefilet annoncait le mariage de M. de Solignac,
senateur, avec mademoiselle Clotilde Martory, fille du general Martory.
"Ainsi, disait la note, vont se trouver reunies deux illustrations de
l'Empire..." Je ne pus en lire davantage, car le journal tremblait
dans mes mains comme une feuille secouee au bout d'une branche par une
bourrasque.
Ce ne fut pas tout. Deux jours apres, je recus une lettre ecrite par le
general lui-meme. En deux lignes, il me demandait de venir a Cassis le
dimanche suivant, afin de diner d'abord, puis ensuite "pour entendre une
communication importante" qu'on avait a me faire.
Mon premier mouvement fut de me mettre a l'abri d'une lachete du coeur
et je repondis qu'il m'etait, a mon grand regret, impossible d'accepter
cette invitation.
Puis ce devoir envers moi-meme accompli, j'eus un peu de tranquillite,
au moins de tranquillite relative.
Mais le samedi soir je me sentis moins ferme dans ma resolution, et
pendant toute la nuit je me dis que j'avais tort de ne pas vouloir
ecouter cette communication; sans doute, c'etait un moyen trouve par
Clotilde pour me voir. Qui pouvait dire ce qui resulterait de cette
entrevue? elle
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