ment.
Personne ne se plaint du present, car on a foi dans l'avenir: plus tard,
quand on sera quelqu'un.
Quand je dis on, je ne me comprends pas, bien entendu, dans ce on, car
je n'ai pas d'avenir, et, comme mes camarades, je n'ai pas d'etoile pour
me guider; je ne serai jamais quelqu'un.
Et Clotilde?
Clotilde n'est plus l'avenir pour moi, mais j'avoue qu'elle est toujours
le present. Si je suis venu habiter la rue Blanche, c'est parce que
Clotilde demeure rue Moncey; si j'ai quitte Marseille, c'est pour
suivre Clotilde a Paris. Voila l'aveu que j'ai retarde jusqu'a present,
agissant un peu comme les femmes qui bavardent longuement pendant quatre
pages sans rien dire, et mettent leur pensee dans le dernier mot de leur
lettre.
Mon dernier mot, vrai et franc, c'est que je l'aime toujours.
Cela est lache, peut-etre, et meme je suis assez dispose a le
reconnaitre; mais apres, que puis-je a cela? Si la lachete du coeur est
honteuse, c'est un malheur pour moi.
Si j'avais ete un homme fort, j'aurais du oublier Clotilde; cela j'en
conviens. Le jour ou elle m'a dit qu'elle devenait la femme de M. de
Solignac, je devais la regarder avec mepris, lui lancer un coup d'oeil
qui l'eut fait rougir, lui assener une epigramme pleine de finesse
et d'ironie, et, cela fait, me retirer dignement. Voila qui etait
convenable et correct.
C'est ainsi, je crois, qu'eut agi un homme raisonnable ayant le respect
de soi-meme et des convenances. Puis, si cet homme bien equilibre eut
souffert de cet abandon, il eut probablement aime une autre femme; car
il est universellement reconnu que le meilleur remede pour guerir un
amour chronique, c'est un nouvel amour: cette espece de vaccination
opere presque toujours des cures remarquables.
Malheureusement, je n'ai point agi suivant les regles precises de cette
sage methode. Apres avoir donne mon coeur a Clotilde, je ne l'ai point
repris pour le porter a une autre. Je l'ai aimee; j'ai continue de
l'aimer, plus peut-etre que je ne l'aimais avant sa trahison; car il est
des coeurs ainsi faits, que la douleur les attache plus fortement encore
que le bonheur.
Elle etait indigne de mon amour. Cela aussi peut etre vrai, et je ne dis
pas qu'elle meritat ma tendresse et mon adoration. Mais depuis quand nos
sentiments se reglent-ils sur les qualites de celle qui nous inspire
ces sentiments? On n'aime pas une femme parce qu'elle est bonne, parce
qu'elle est tendre, on l'aime parce qu'on l'aime, e
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