t ses qualites comme
ses defauts ne sont pour rien dans notre amour. Quand je dis nous, je
ne veux pas parler des gens raisonnables, mais de quelques fous,
de quelques miserables comme moi, de ce qu'on appelle en riant les
passionnes.
Oui, Clotilde m'a trompe. M'aimant, elle a consenti a epouser un homme
qu'elle n'aimait pas, qu'elle ne pouvait pas, qu'elle ne pourrait jamais
aimer; car cet homme est vieux et meprisable. Assurement, cela n'est pas
beau et tout le monde la condamnera impitoyablement.
Mais quand je me reunirais a tout le monde, cela ferait-il que je ne
l'aimerais plus? Helas! non. Les autres peuvent la regarder d'un oeil
froid et dur, moi je ne le peux pas, car je l'aime, et sa trahison, son
crime a mon egard n'effaceront jamais les cinq mois de bonheur dans
lesquels elle m'a fait vivre; a parler vrai, c'est sa trahison qui palit
et s'eteint devant le rayonnement de ces jours heureux.
Pendant ces cinq mois, elle a enfante en moi un etre qui s'est developpe
sous le souffle de sa tendresse, et qui, maintenant, bien qu'abandonne,
ne peut pas mourir.
C'est cet etre nouveau qui commande en moi a cette heure, qui me dirige
et qui m'inspire; c'est lui qui a impose silence a mon orgueil, a ma
dignite et a ma raison. Si je veux me revolter, et je le veux souvent,
je le veux toujours, il me courbe et me dompte. Nous luttons, mais il a
toujours le dernier mot.
--Clotilde s'est donnee a un autre.
--Apres?
--Elle est meprisable.
--Apres?
--Je ne veux plus la voir, je veux ne plus penser a elle.
--Pourquoi repeter sans cesse ce qui est impossible? A quoi bon dire "Je
veux" si la realite est je ne peux pas? Autrefois tu pouvais vouloir;
aujourd'hui ta volonte est paralysee par ta passion. Tu t'agites, mais
c'est la passion qui te mene et je suis ton maitre. Tu veux te detacher
de Clotilde; moi, je ne le veux pas. Tire sur la chaine qui te lie
a elle; tu verras si tu peux la rompre et si chaque secousse que tu
donneras ne te retentira pas douloureusement dans le coeur. C'est
Clotilde qui m'a fait naitre, et je ne veux pas mourir; c'est ma mere,
et je veux vivre par elle.
Je l'aime donc toujours.
Et c'est parce que je l'aime que j'ai quitte Marseille.
C'est parce que je l'aime que j'ai pris ce logement de la rue Blanche
qui me permet de voir les fenetres de son hotel, et souvent meme de
l'apercevoir alors qu'elle se promene dans son jardin.
L'hotel de M. de Solignac, en effet, occupe un as
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