prise comme les freres Bedarrides lorsque je leur
avais demande a entrer dans leurs bureaux.
--Toi commis-libraire? allons donc, mon cher, tu n'y penses pas.
--Et pourquoi n'y penserais-je pas? Que veux-tu que je fasse? Je n'ai
pas de metier, et pour tout capital j'ai quatre mille francs. Trouves-tu
le travail deshonorant?
--Certes non.
--Eh bien, alors donne-moi a travailler. Ce n'est pas une vocation
irresistible qui m'oblige a etre commis. En donnant ma demission de
capitaine, je ne me suis pas dit que j'allais enfin avoir le bonheur
d'etre employe dans ta maison, ce qui realiserait tous mes desirs et
tous mes reves. Force bien malgre moi a cette demission, j'ai su que
la vie ne me serait pas facile, mais enfin j'ai du faire ce que ma
conscience me commandait; maintenant tu peux m'adoucir ces difficultes,
et je m'adresse a ton amitie.
--Sois bien certain qu'elle ne te manquera pas. Seulement laisse-moi
te dire que tu ne sais pas ce que tu me demandes. Tu es habitue a une
certaine independance d'action et a la liberte de l'esprit; pourras-tu
rester enferme dans un bureau pendant douze ou treize heures, sans
distraction, applique a un travail qui te paraitra fastidieux et qui le
sera reellement? Crois-tu qu'un bucheron ou un jardinier n'est pas plus
heureux qu'un commis qui toute la journee demeure penche sur son bureau
a faire des chiffres?
--Je ne sais pas fendre un arbre, et je ne sais pas davantage ratisser
un jardin, tandis que je sais faire des chiffres.
--Si je te parle ainsi, c'est qu'il me parait impossible qu'un homme
de ton age qui, pendant dix ans, a vecu a cheval, le sabre a la main,
puisse tout a coup remplacer son sabre par une plume et vivre enferme
dans un bureau.
--Il le faut cependant.
--Sans doute, mais comme je me figure que tu ne pourrais pas te plier
a ces nouvelles habitudes sans en beaucoup souffrir, je voudrais
t'epargner ces souffrances.
--Si tu as un moyen de me faire gagner agreablement mes 1,500 francs,
dis-le; je te promets que je ne le repousserai pas.
--Pourquoi ne nous ferais-tu pas des articles pour nos dictionnaires et
pour nos manuels?
--C'est toujours une plume que tu me proposes.
--Assurement, mais tu travaillerais a tes heures, tu ne serais pas
enferme dans un bureau, tu aurais ta liberte et tu pourrais facilement
gagner quinze ou vingt francs par jour, ce qui vaut mieux que quinze
cents francs par an.
--Je ne sais pas ecrire.
--De cela ne pren
|