a de ne pas trop travailler.
Evidemment cela etait de beaucoup preferable au bureau. Je remerciai
Taupenot comme je le devais, et je me mis en relation avec le directeur
de ce dictionnaire pour qu'il me guidat.
Je trouvai en lui un homme bienveillant, qui ne se moqua ni de mon
ignorance ni de mon inexperience, et qui par ses conseils me facilita
singulierement mes premiers pas.
XLIII
S'endormir capitaine de cavalerie et se reveiller artiste, c'est croire
qu'on continue un reve commence.
Cependant ce reve est pour moi une realite. Il est vrai que je suis bien
peu artiste, mais enfin si je ne le suis pas par le talent, je le suis
jusqu'a un certain point par le travail, par les habitudes et par les
relations.
Mon cinquieme etage est divise en ateliers et mon logement est le seul
qui ne soit pas occupe par des peintres. Les hasards de la vie porte a
porte ont etabli des relations entre mes voisins et moi, et peu a peu il
en est resulte pour nous une sorte de camaraderie et d'amitie.
Ce ne sont point des peintres ayant un nom et une reputation, mais des
jeunes gens qui m'ont recu parmi eux avec la confiance et la facilite de
la jeunesse.
Tout d'abord ils ont bien ete un peu effrayes par ma decoration et ma
tournure militaire, mais la glace s'est insensiblement fondue quand ils
ont reconnu petit a petit que je n'etais pas si culotte de peau que j'en
avais l'air.
Nous nous voyons le matin et je vais manger chez eux le dejeuner que
mon concierge me monte. Par la il ne faut pas entendre que je
vais m'attabler dans une salle a manger ou mon couvert serait mis
regulierement.
Nous sommes plus simples et plus reserves dans nos habitudes, car les
uns et les autres nous sommes a peu pres egaux devant la fortune.
S'ils ont deja du talent (et c'est leur cas), ils n'ont pas encore de
notoriete et leurs tableaux se vendent peu ou tout ou moins se vendent
mal. Et pour moi qui ne fait pas de l'art, mais qui fais seulement du
metier, je suis loin de gagner ce que Taupenot m'avait fait esperer. Je
n'ai pas encore cette habitude du travail qui donne la facilite; Je ne
sais pas me mettre a ma table et enlever un dessin d'un coup, je me leve
dix fois par heure, je regarde ce que j'ai fait, je cherche ce que je
vais faire, j'ouvre un livre et, au lieu de m'en tenir au renseignement
qui m'est necessaire, je lis tout le passage qui m'interesse, celui-la
en amene un autre, je reve, je reflechis et n'avance pas. D'un autre
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