euner, je lui proposai de faire sa sieste comme a
l'ordinaire, pendant que je me promenerais dans le jardin, mais il
secoua tristement la tete.
--C'etait la musique qui m'endormait, dit-il; maintenant, je n'ai plus
de musique puisque la musicienne est partie.
--Si je la remplacais aujourd'hui?
Je me mis au piano et lui chantai:
Elle aime a rire, elle aime a boire.
Ma voix tremblait en commencant, mais je me roidis contre mes emotions.
Tout a coup j'entendis un gros soupir, et en me retournant je vis le
general qui pleurait.
--Ah! dit-il en me tendant la main, c'etait un gendre comme vous qu'il
m'aurait fallu. Vous viendrez souvent, n'est-ce pas? Nous chanterons
ensemble, nous jouerons aux echecs; je vous raconterai Austerlitz et la
campagne d'Egypte et celle de Russie.
--Helas! je pars ce soir pour Paris.
--Vous aussi, vous m'abandonnez? Allons, les vieux restent trop
longtemps sur la terre.
Je le quittai le soir meme, et le lendemain je partis pour Paris.
XLII
Me voici a Paris, a vingt-neuf ans, sans un sou de fortune et n'ayant
pas de metier aux mains.
Que faire, non pour me creer une position ou pour me gagner une fortune,
mais pour vivre honnetement et librement?
On a souvent raille l'officier qui va partout cherchant "l'Annuaire", et
qui, revant haut dans le cafe ou il s'est endormi, demande "l'Annuaire".
Jusqu'a un certain point la raillerie est fondee. Oui, l'officier vit
continuellement avec la preoccupation et le souci de son avancement. En
dehors de l'armee et de son regiment, il ne voit rien et ne s'interesse
a rien. Cela est ainsi, on doit en convenir, mais en meme temps il faut
dire qu'il ne peut pas en etre autrement.
On demande au soldat de quitter son pays et sa famille, de vivre sans
foyer, sans affections, sans relations sociales, sans aucun des mobiles
qui poussent les hommes ou les soutiennent, et il se resigne a tous
ces sacrifices. Mais comme il faut bien qu'on aime quelque chose en
ce monde, comme il faut bien qu'on ait un but dans sa vie, on aime la
carriere dans laquelle on est entre, et le but qu'on propose a son
activite et a son intelligence, c'est l'avancement: lieutenant, on veut
etre capitaine; colonel, on veut etre general; c'est un devoir qu'on
accomplit, un droit qu'on poursuit.
Voila pourquoi l'officier qui sort de l'armee, dans un age ou il doit
travailler encore, est un declasse. Il en est de lui comme du pretre qui
sort du clerge. Il n'y a
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