rien a faire ni pour l'un ni pour l'autre dans
la societe; le monde n'est pas organise pour eux, pour leurs besoins,
pour leurs habitudes, et ils vont se choquant a des moeurs, a des
usages, a des idees qui ne sont pas les leurs. Partout genes, ils sont
partout genants; ils encombrent la vie sociale, et sans pitie on les
pousse, on les coudoie, on les meurtrit, ils tournent sur eux-memes, et
comme ils n'ont point de but vers lequel ils puissent se diriger, ils
pietinent sur place... et surtout sans place.
C'est la mon cas, et je suis dans Paris comme un Huron que le hasard
aurait tout a coup pose au carrefour du boulevard et de la rue Vivienne:
ces gens qui l'entourent, courant a leurs affaires ou a leurs
plaisirs, l'etonnent sans l'interesser; c'est un homme qui regarde une
fourmiliere.
En venant de Marseille a Paris, j'ai lu, pour me distraire de mes
pensees, un livre qui m'a donne a reflechir sur ce sujet; c'est un
roman de Balzac: _Un menage de garcon_. Le heros ou plus justement le
principal personnage de ce roman, car Balzac peint des hommes et non des
heros dessines en vue de plaire aux belles ames, le principal personnage
de ce roman est un officier qui, apres Waterloo, rentre dans la vie
sociale.
Endurci par l'exercice de la force et du commandement, exaspere par les
deceptions de la defaite, corrompu par les autres autant que par sa
propre nature, il devient le type le plus complet qu'on puisse rever
du soudard et du brigand. Sa mere, il lui demande pour tout service de
"crever le plus tot possible". Sa nourrice, il la vole. Son oncle, il
l'abrutit. Sa femme, il la fait mourir de debauche. Ses amis, il les
trahit quand ils sont heureux, ou bien il les abandonne quand ils
sont malheureux. Les hommes, il les tue, les dupe ou les insulte. Ses
enfants, il les craint, et il croit qu'ils souhaiteront sa mort, "ou
bien ils ne seraient pas ses enfants". Si je devais etre un jour un
Philippe Brideau, ce que j'aurais de mieux a faire serait de me bruler
tout de suite la cervelle.
J'avoue que plus d'une fois j'ai eu cette idee, et que si je ne l'ai
point encore mise a execution, c'est que rien ne presse; je ne suis
point a bout de forces, et j'ai, je m'en flatte, bien du chemin a
parcourir avant d'arriver a la pente sur laquelle glissent les Brideau.
Debarque a Paris, mon premier soin a ete de regler les affaires de mon
pere, dont je n'avais pas pu m'occuper encore. Ce reglement a ete des
plus simples; mais po
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