ndarme qui etait pres de lui s'avanca de trois pas: il
portait un fusil de chasse a deux coups; un bandeau de soie noire lui
cachait la moitie du visage; une raie sanguinolente coulait sous ce
bandeau.
--Sauf respect, dit-il, il n'y a pas besoin de plusieurs hommes, je
le fusillerai tout seul; le brigand payera pour ceux qui m'ont creve
l'oeil.
Un crime horrible allait se commettre, et ne pouvant pas l'empecher par
la force, je voulus au moins l'arreter. Dans la salle de la mairie ou
cette discussion avait lieu se trouvaient plusieurs personnes; le maire
de la commune, quelques notables et notre guide, c'est-a-dire le fils du
proprietaire qui avait ete emmene en otage.
La vue de ce jeune homme qui marchait en long et en large, impatient de
tout ce retard, me suggera une idee, et tandis que la foule continuait
au dehors ses chants et ses vociferations, je revins sur M. de Solignac,
en meme temps que d'un geste j'arretais le gendarme qui allait sortir.
--Par cette mort, lui dis-je, vous voulez empecher l'effusion du sang et
vous oubliez que vous allez le faire couler.
--Le sang de ce miserable ne vaut pas celui que je veux menager.
--Ce n'est pas de ce miserable que je veux parler maintenant, c'est des
otages qui sont aux mains des insurges et qui peuvent devenir victimes
d'affreuses represailles, lorsqu'on apprendra que la troupe fusille ses
prisonniers.
Puis, m'adressant a mon jeune guide:
--Parlez pour votre pere, monsieur; demandez sa vie a M. de Solignac, et
vous tous, messieurs, demandez celle de vos amis qui ont ete emmenes par
les insurges.
On entoura M. de Solignac, on le pressa; mais il se degagea, et d'une
voix ferme:
--L'interet general est au-dessus de l'interet particulier, dit-il; il
faut que cette execution soit un exemple.
--Mais mon pere, mon pere, s'ecria le jeune chatelain.
--Nous le delivrerons. Gendarme, faites ce qui vous a ete ordonne.
Alors, le maire s'avanca vers M. de Solignac; je crus qu'il voulait
interceder a son tour, et j'eus une lueur d'esperance.
--Il faudrait accorder un pretre a ce miserable, dit-il.
--C'est juste; qu'on aille chercher le cure.
Une personne sortit, et comme elle avait sans doute sur son passage
annonce la condamnation du prisonnier, il s'eleva de la foule une
clameur furieuse: des huees, des cris, des chants: "A mort! a mort!"
Je me retirai dans un coin de la salle, mais je fus bientot oblige de
changer de place, car j'avais en face
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