faut que toute la contree soit envahie et domptee
par une force morale, puisqu'elle ne peut pas l'etre par une force
materielle. Quand on saura qu'un insurge pris les armes a la main a ete
fusille, cela produira une impression salutaire. Ceux des paysans qui
veulent se soulever, resteront chez eux, et beaucoup de ceux qui sont
deja incorpores dans les bandes les abandonneront. Au lieu d'avoir vingt
mille hommes devant nous, nous n'en aurons que deux ou trois mille, et
encore beaucoup seront-ils ebranles. Au lieu d'avoir a soutenir une
lutte formidable qui ferait couler des torrents de sang, nous n'aurons
peut-etre qu'a paraitre pour disperser ces miserables. Vous voyez bien
que la mort de ce prisonnier est indispensable; il est condamne par la
necessite. Sans doute, cela est facheux pour lui, mais il est coupable.
J'etais atterre par ce langage froidement raisonne: je restai sans
repondre, regardant M. de Solignac avec epouvante.
--J'attends votre reponse, dit-il.
--J'ai repondu.
--Vous persistez dans votre refus?
--Plus que jamais.
--Prenez garde, capitaine; c'est de l'insubordination, c'est de la
revolte, et dans des conditions terribles.
--Terribles, en effet.
--Pour vous, capitaine.
M. de Solignac s'emportait; son second se pencha a son oreille et lui
dit quelques mots a voix basse.
--C'est juste, repliqua M. de Solignac, allez.
Et ce sinistre personnage sortit marchant d'un mouvement raide et
mecanique comme un automate. Presque aussitot il rentra suivi de deux
gendarmes: un brigadier et un simple gendarme.
--Brigadier, dit M. de Solignac, il y a la un prisonnier qui a ete pris
les armes a la main; vous allez le faire fusiller par vos hommes.
Ces paroles me firent comprendre que le malheureux bucheron etait perdu.
L'insurrection avait exaspere les gendarmes; on les avait poursuivis,
maltraites, injuries, desarmes; dans certains villages on s'etait livre
sur eux, m'avait-on dit, a des actes de brutalite honteuse; ils
avaient a se venger, et pour beaucoup la repression etait une affaire
personnelle. Si ce brigadier etait dans ce cas, le prisonnier etait un
homme mort.
En entendant les paroles de M. de Solignac, ce dernier palit
affreusement, et il resta sans repondre regardant droit devant lui, une
main a la hauteur de la tete, l'autre collee sur son pantalon.
--Eh bien? demanda M. de Solignac.
Le brigadier ne bougea point, mais il palit encore.
--Etes-vous sourd?
Alors le ge
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