a Durance; son armee, disait-on,
etait forte de plus de six mille hommes, et ces hommes etaient
redoutables; pour la plupart c'etaient des bucherons, des charbonniers,
des ouvriers en liege, habitues a la rude vie des forets, et qui
n'avaient peur de rien, ni de la fatigue, ni des privations, ni des
dangers; a leur tete marchait une jeune et belle femme qui, coiffee du
bonnet phrygien, portait le drapeau rouge.
Ce n'etaient pas la des paysans timides que la vue d'un escadron
s'avancant au galop devait disperser sans resistance.
A en croire ces nouvelles, ils etaient deja organises militairement;
les bandes s'etaient formees par cantons, et elles avaient choisi des
officiers; l'une etait commandee par un chirurgien de marine, les autres
l'etaient par des gens resolus; un certain ordre regnait parmi tous ces
hommes, qui ne se rendaient nullement coupables de pillages, d'incendies
et d'assassinats, comme on l'avait dit.
La seule accusation serieuse qu'on formulat contre eux etait de prendre
des otages dans chaque ville et chaque village qu'ils traversaient et de
les emmener prisonniers. Pour moi, c'etait la un crime qui me placait
a leur egard dans une situation toute differente de celle que j'aurais
voulu garder.
Si d'un cote je voyais en eux des gens convaincus de leur droit et se
soulevant pour le defendre, ce qui dans les conditions ou nous nous
trouvions etait pour le moins excusable, d'un autre cote j'etais indigne
de la faute criminelle qu'ils commettaient. En s'insurgeant, ils avaient
la justice pour eux; pourquoi compromettaient-ils leur cause et la
deshonoraient-ils par cette lachete?
Le soir qui suivit notre entree a Brignoles, je sentis mieux que par le
raisonnement, combien etait grave cette question des otages et combien
terrible elle pouvait devenir pour les insurges.
Nous etions arrives dans un gros village ou nous devions passer la
nuit, et j'avais ete chercher gite au chateau avec Mazurier et quelques
hommes.
Ce chateau etait en desarroi, et ses proprietaires etaient dans la
desolation: une bande d'insurges etait venue le matin arreter le chef
de la famille, qui n'avait commis d'autre crime que celui d'etre
legitimiste, et l'avait emmene comme otage. On ne lui avait point
fait violence, et comme il souffrait de douleurs qui l'empechaient de
marcher, on lui avait permis de monter en voiture, mais enfin on l'avait
emmene sans vouloir rien entendre.
Lorsque nous arrivames, sa femme et ses e
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