trop legere pour n'etre
pas brisee dans l'attaque qui suivit. Aucun detail de cette scene ne
m'est sorti de la memoire. Je les revois tous les deux, l'un fort et
colore, en pleine vigueur et puissance, et cependant poussant une de
ces plaintes comme on en arrache aux arbres qu'on fend; l'autre si
vieux, ratatine et delicat, et neanmoins insolent dans sa facon de se
dresser et de railler, --et moi, entre eux, comme l'enjeu de la partie
qui se jouait.
--Oui, reprenait mon pere, je vous ai donne mon fils pour le guerir et
non pour le detourner. Vous-meme, vous vous etiez engage a ne rien
dire ni faire qui put le mettre un jour en contradiction avec nos
traditions religieuses et familiales. Avez-vous tenu votre promesse?
Il y a quelque temps deja que je soupconnais le travail opere dans
cette petite tete. J'en ai averti Valentine. Elle aussi, je m'en suis
rendu compte, redoutait ce malheur et, dans son respect pour vous,
craignait de vous attribuer a tort une mauvaise influence. Je ne sais
comment vous avez conquis cette cervelle d'enfant. Mais ce que je
n'ignore plus, c'est que vous avez conduit Francois au lieu meme ou
tous nos ennemis se rassemblent et abusent de votre faiblesse et de
votre generosite.
--Je ne te permets pas... voulut interrompre grand-pere.
--De votre generosite, continua la voix plus ardemment, ou de la
mienne. Car j'ai recu ce matin la carte a payer. Elle est chere.
Martinod a trouve plaisant d'abreuver sa bande a mon compte.
--Qui t'a envoye la note?
--Le patron du cafe. A qui voulez-vous qu'il l'envoie? Il est venu en
personne l'apporter, et, pour me convaincre, il s'est contente
d'ajouter: "Le petit a consomme." Mon fils en etait comme mon pere:
je suis responsable, car, moi, je crois a la solidarite de la famille.
J'ai paye pour Cassenave qui, dans son ivrognerie, porte deja les
signes de la mort; pour Glus et Merinos, pauvres rates, incapables du
moindre travail; pour ce faineant de Galurin et pour cette canaille
de Martinod. Payer n'est rien, et j'ai subi, vous le savez, de plus
rudes averses. Mais quelles erreurs avez-vous enseignees a ce petit?
Il faut maintenant que je les connaisse pour les extirper de son coeur
comme la mauvaise herbe du jardin. Ou ira-t- il? Que fera-t-il dans la
vie avec cette utopie de la liberte que la realite dement a toute
heure, sans les fortes disciplines de la maison, sans notre foi? Ce
qui soutient notre race, toutes les races, ne savez-vous pas que c'
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