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ou tout mon etre se fut jete. Je n'etais pas impassible cependant. Il
y avait dans le son de sa voix trop de pathetique pour que ma
sensibilite, eveillee de bonne heure, n'en fut pas toute secouee.
Mais, par une contradiction singuliere, ce que cette voix remuait en
moi, c'etait precisement le desir, tous les desirs qu'elle voulait
chasser. Elle chantait les pierres de la maison batie pour triompher
du temps, l'abri du toit, l'union de la famille, la force de la race
qui se maintient sur le sol, la paix des morts que Dieu garde. Et
tandis que vibrait ce cantique, j'en entendais tres distinctement un
autre que, pour moi seul, composaient la musique du vent vagabond,
l'immensite des espaces inconnus, la parole du patre qui s'en allait a
la montagne, et les fleurs de pommier qui avaient ruissele sur mon
visage le premier jour de mon amour, et le rire de Nazzarena, et
l'ombre aussi, l'ombre desesperante du chataignier sous lequel elle
avait passe.
Un instant, mon pere se crut vainqueur. Ses yeux percants qui me
fouillaient venaient de decouvrir mon trouble. Par un besoin de
franchise, je me detournai en silence, et il comprit que j'etais loin
de lui. Sa voix cessa de retentir. Je le regardai a mon tour, surpris
de ce soudain silence, et je vis la tristesse l'envahir comme l'ombre,
l'ombre desesperante qui, du creux des vallees, gravit lentement les
sommets quand c'est l'approche de la nuit.
... Pere, aujourd'hui j'interprete votre tristesse. Seul, j'ai refait
le pelerinage du Malpas, et seul je vous entendais mieux. Vous songiez
a vos deux fils aines qui, brules de sacrifice, s'en iraient au loin,
pour le service divin et pour celui de la patrie. Vous songiez a votre
chere Melanie qui, attiree par le dur calme du cloitre, attendait
l'heure de sa majorite. Les branches maitresses de l'arbre de vie que
vous aviez plante se detachaient du tronc. Vous comptiez sur moi pour
continuer votre oeuvre, et je vous echappais. A vous seul, vous aviez
soutenu la maison chancelante, et la maison, en vous accablant de
travail et de souci, vous ecartait des votres. C'est le malheur des
necessites materielles: elles ne laissent pas assez de temps pour la
direction des ames. Mais le temps, vous pensiez le soumettre a force
de virile tendresse pour moi, et d'eloquence. En une promenade, en une
lecon, vous aviez espere regagner le terrain perdu, sans toucher au
respect de votre pere. C'est un coeur obscur que le coeur d'un enfant
de qua
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